Nous étions mal assis.
Incendies, c’est trois heures avec un maigre entracte de quinze minutes. Oui, nous avons eu mal au dos. Oui, nous avons eu mal aux genoux. Oui, ça a gâché le spectacle. Mais qu’est-ce que ça en valait la peine ! Qu’est-ce que ça en valait la peine !
Ça commence avec un monologue du notaire. Il parle fort, il parle vite, il parle avec émotion, il parle avec une voix
j’ai-avalé-un-chat. Ensuite, viennent le frère et la sœur. Il est boxeur amateur, elle est prof de mathématiques. On nous parle d’une mère morte, d’un testament. Le boxeur s’énerve, le boxeur crie, le boxeur insulte. La sœur se tait. Le notaire essaye de convaincre.
Mais de quoi s’agit-il ?
Viennent les flashbacks. Viennent les scènes qui se chevauchent. Viennent ces notes de piano qui marquent certaines scènes de la pièce.
Mais de quoi s’agit-il ?
C’est quand on comprend que c’est justement cette question que Mouawad veut qu’on se pose (parce que ses personnages principaux se la posent aussi), c’est quand on lit entre les scènes, c’est quand on remarque le
millimétrage de la mise en scène, qu’on se rend compte de l’étendue de son art, de son œuvre, de son génie. Rien n’est laissé au hasard. La musique (piano) n’est, bien sûr, pas fortuite. Elle marque des affirmations clé, des pistes, des phrases qui devraient faire réfléchir le spectateur, l’aider à résoudre l’énigme. Les gouttes d’eau qui tombent de temps à autre, les sceaux d’eau qu’on balance sur le plancher ou sur les corps (les deux boxeurs), sont autant des apaisements aux feux intérieurs des personnages qu’un contraste voulu au titre de la pièce : les incendies ne sont pas toujours feu, les incendies ne sont pas toujours fumée, les incendies sont à l’intérieur, dans l’âme, dans l’esprit, dans l’histoire. Le combat des deux femmes,
la femme-qui-chante et
la femme-qui-sait-écrire est un combat symbolique : la guerre ne se fait pas que par des tirs, des tanks, des chars. La guerre se fait avec des mots. Les mots, ça se chante, ça s’écrit, ça se vit, ça se transporte. Et naissent les légendes. Et naît la légende de la
femme-qui-chante, qui n’en est justement pas une.
Les comédiens passent d’un personnage à l’autre en une fraction de seconde. On en reste bouche bée. Le décor lui-même, le même décor, Les mêmes outils/bagages servent des scènes différentes sans aucune incohérence. Les personnages cherchent la vérité. Les personnages se cherchent. Et se trouvent. Ailleurs. Loin. Mais proche. Même la théorie des graphes élaborée n’est pas fortuite. Elle sert le récit. Elle sert la tragédie. Et quelle tragédie !
Mention spéciale à trois comédiens. Lachapelle ? Non. Elle est aussi juste que d’habitude, mais son rôle n’est pas le plus « étonnant ». D’abord le notaire (Gérald Gagnon ?). Une justesse dans la gaucherie, une fluidité dans le verbe, une drôlerie (qui apaise la noirceur du sujet) qui nous laissent pantois. Belle performance ! Ensuite, le fils : Reda Guerinick. Sa violence verbale et physique nous touche. Il est le personnage. Il le crie si fort, il le joue si bien, il le gesticule avec tellement de justesse qu’on ne peut s’empêcher de croire, avec peu de raison j’imagine, qu’il n’est pas si loin du personnage. Enfin, le clou de la soirée, la cerise sur le gâteau, le Rôle parmi tous les rôles : Éric Bernier. Cette scène de chant/danse, cette entrevue fictive avec un mort, cette folie furieuse : quelle aisance ! Son jeu était très physique. Il devait se tenir de la bonne manière, parler avec le bon accent, se tenir droit ou pas. Il l’a fait merveilleusement. Je lève mon chapeau.
La scène de la fin nous révèle la solution de l’énigme. On est frappé par cette vérité. On comprend tout. On comprend surtout le mutisme de la défunte mère. Mais, et c’est là la beauté de la pièce, Mouawad trouve le ton juste, les mots justes, pour nous délivrer un message d’amour et de paix. Malgré tout. Malgré tout. Et à travers des mots récités par un personnage mort (la mémoire ?), la sagesse de la pièce nous est livrée…sur un plateau en or.
J’ai passé un des moments artistiques les plus forts de l’année 2006. J’ai découvert pourquoi tout le monde encense Mouawad et son art : c’est un génie !