Tuesday, May 29, 2007

John Fante


Je ne suis pas un grand fan de Bukowski. J’ai essayé de le lire une fois. J’ai oublié le livre dans un avion. Peut-être mon cerveau avait-il décidé que je me devais de l’oublier.
Je ne suis pas un grand fan de Bukowski. Mais je lui dois une fière chandelle. Peut-être même que tous les fans de John Fante lui en doivent une. Car un jour, Bukowski est tombé sur un livre. Car un jour, Bukowski trouva son Dieu (Il dira plus tard : Fante was my god and I knew that the gods should be left alone, one didn't bang at their door). Et le livre s’appelait « ask the dust ». Et le Dieu s’appelait John Fante. Et Bukowski eut envie d’écrire. Et il eut beaucoup de succès. Et il convainquit son éditeur Black Sparrow Press de rééditer les œuvres complètes de Fante. Et c’est peut-être grâce à cette réédition que moi, jeune lecteur d’autres temps, connus un jour John Fante. Peut-être. Peut-être pas.

Je ne sais plus par quel roman j’avais commencé. Je sais que je les ai tous lus. Avec beaucoup de plaisir. Je sais que « Mon chien stupide » était drôle. Je sais que « Bandini » était touchant. Je sais que « Rêves de Bunker Hill » était trippant. Je sais qu’à la fin de « Demande à la poussière », j’étais bouleversé, ému, mais surtout convaincu d’avoir lu l’œuvre d’un écrivain qui a eu du courage. Beaucoup de courage. Car décrire sa propre misère, décrire sa propre arrogance, décrire sa propre cruauté, ça demande du courage.

Quand j’eus lu tous ses livres, je me suis senti désemparé, las, triste. Je ne pourrai plus jamais lire un roman de Fante. Je ne pourrai plus jamais lire sa folie, sa sensibilité unique, son regard différent du monde, de ses proches, de son père et de sa mère. Quel autre écrivain pourra encore m’exposer ce désarroi qui l’habitait, parce qu’il était (seulement) scénariste et pas écrivain (reconnu) ? Quel autre romancier que Fante pourra me décrire ces rapports d’amour-haine qui le liaient à ce père colérique, buveur et sans le moindre tact ? J’étais orphelin, endeuillé, sans lendemain.

John Fante eut 4 enfants. L’un d’eux, après des années d’alcool et de déchéance, décida d’écrire. Et le fit avec assez de talent. Il s’appelle Dan Fante. J’ai lu trois de ses livres. Son verbe est proche de celui de son père. Mais plus crû, moins subtil. Ce fut un plaisir de le lire. Mais le plaisir n’égala jamais celui de lire les mots qui remplirent ces livres merveilleux et sincères que John, dont Dan parle dans « Les anges n’ont rien dans la poche », commit.

La vie de John Fante, elle-même est un roman. Fils d’immigrés italiens, il naquit au Colorado en 1909. Dans ses livres semi-biographiques (car, comme dit Romain Gary, « Sous la plume, sous le pinceau, sous le burin, toute vérité se réduit seulement à une vérité artistique. »), il nous décrit d’abord (dans « Bandini », « Le vin de la jeunesse », « L’orgie », « Les compagnons de la grappe », etc.) avec beaucoup de sincérité, cette jeunesse d’italien catholique, qui aurait voulu avoir un nom américain, qui rêvait d’être une vedette de baseball, qui aimait déjà les femmes. Il y a ensuite la phase de Fante adulte (« Pleins de vie », « Rêves de Bunker Hill », « Mon chien stupide », etc.) où Fante vit assez aisément- mais tristement - de ses scénarios, mais rêve tous les jours d’être un écrivain reconnu et admiré.
« Demande à la poussière », quant à lui, nous décrit un Fante jeune et fugueux, vivant dans un hôtel, mangeant des oranges empruntés à l’épicerie du coin, et rêvant d’écrire un roman puissant qui le fera enfin reconnaître. Il tombe amoureux de Camilla Lopez, une serveuse mexicaine, qui elle-même est amoureuse de Sami le barman américain. Les personnages sont paumés, émotionnellement compliqués, crapuleux, fous. L’écriture est simple, fluide, pleine de nous, de vous, de tous les êtres humains et de leurs angoisses existentielles.

Atteint de diabète vers la fin de sa vie, Fante, aveugle et amputé des deux jambes, dicta son dernier roman à sa femme Joyce, « Rêves de Bunker Hill », décrivant le monde du cinéma, sa vie de nouveau scénariste, son manque de confiance, la folie qui régnait à Hollywood, le stress que lui engendraient les chèques qu’il encaissait sans rien faire. Encore une fois, Fante écrit (ou devrais-je dire « dicte ») avec ses trippes, son cœur, son âme. Et on se surprend à l’imaginer, vieux, aveugle et handicapé, racontant sa vie par bribes à Joyce l’aimante, la compagnonne de toujours , comme dans un grand film de Coppola, comme dans un film biographique d’un grand artiste, comme dans film d’un grand homme, un peu oublié, un peu sous-estimé, un peu laissé-pour-compte. Car la vie est injuste. Car la vie est injuste.


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Friday, May 25, 2007

Headless

Quelqu'un a dit un jour (avouez la précision):

Si tu n'es pas idéaliste à vingt ans, c'est que tu n'as pas de coeur. Si tu l'es toujours à trente, c'est que tu n'as pas de tête.

C'est malheureux à dire, mais je crois que je n'ai pas de tête.


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Tuesday, May 22, 2007

C'est fini. Ce n'est pas encore fini.

J'ai déjà été mieux. Mieux portant. Plus souriant. Plus cool. Plus drôle. Pas ces temps-ci. Il y a la maîtrise. Le stress quotidien. Le boulot. Et il y a ces trente ans qui viennent au galop. C'est cette fin de semaine. Oui, trente ans. Je ne m'imagine toujours pas avoir trente ans. D'ailleurs qu'est-ce qu'avoir trente, quarante, cinquante ans ? Des journées qui passent, des rides qui se dessinent, des cheveux qui tombent, des muscles qui s'inclinent devant les forces inévitables de la pesanteur, des enfants (ou pas), des mariages (ou pas), des ruptures, des blessures. Et des rires. Heureusement. Des rires et des rencontres. Des projets d'avenir. Demain sera meilleur. Demain, le jardin sera plus vert, les fleurs plus roses, le ciel plus bleu.

Le passage lui-même à mes trente ans ne me stresse pas. Ce sera une journée comme les autres. Comme hier. Comme demain. Comme après-demain. C'est le statut de trentenaire qui me turlupine. On dirait que c'est la fin d'une époque dorée. On dirait que c'est fini. Qu'est-ce qui est fini exactement ? Je ne peux le décrire. Mais cette phrase revient en boucle dans ma tête : "C'est fini, mon cher. C'est fini."

Je m'incline.

C'est fini.

La prochaine fois que j'écris quelque chose, j'aurai trente ans. Ou pas. (La dernière fois que j'ai fait une promesse, ça n'a pas tenu longtemps).

D'ici là, ce n'est pas encore fini. Je m'accroche.

La prochaine fois que j'écris quelque chose, j'aurai trente ans. On verra si ma plume a pris des rides. On verra si j'écris vieux. On verra.


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Thursday, May 17, 2007

La grande foutue faucheuse

Je devais avoir dans les onze ou douze ans quand je l’ai connue la première fois. J’étais petit. Très petit. Les cheveux raides peignés sur le côté. La démarche gauche. Le regard triste. Elle était majestueuse, grande, sûre d’elle-même. Ses cheveux étaient noirs, beaux, longs et magnifiques. Plusieurs années plus tard, quand je vis et connus Pocahontas, je pensai à elle. Mme Zniber. Ma chère prof de français bien-aimée.

Cette première année avec Mme Zniber fut merveilleuse. Je trouvais enfin une prof de français cultivée, s’exprimant bien, ne faisant aucune faute d’orthographe. Mme Zniber nous apprenait chaque jour quelque chose de nouveau, une nouvelle règle, un nouveau style d’écriture, un nouvel horizon.
Un jour, je sentis une certaine tristesse dans le regard, la voix de Mme Zniber. Les étudiants avaient vite fait de trouver la raison de cette mélancolie évidente : elle avait perdu un membre de sa famille. J’ai demandé à ma mère : Mme Zniber a perdu un membre de sa famille, que dois-je lui dire ? Tu dois lui présenter tes condoléances mon fils. Quoi ? Et on fait comment pour présenter ses condoléances (Dans ma tête, je me disais : c’est quoi ce mot-là ???) ? Tu vas aller la voir et tu vas lui dire : je vous présente mes condoléances, madame. C’est tout ? Oui, c’est tout. C’est déjà ça. Je fis exactement ce que ma mère m'avait dit de faire. Mme Zniber eut un petit sourire (J’en fus fier et content comme tout) et accepta mes condoléances. Le reste de l’année se passa sans histoires. Mme Zniber est redevenue elle-même, belle et majestueuse aux cheveux noirs et radieux. Elle continuait à nous apprendre des choses et je continuais à boire dans sa tasse, chaque jour, chaque heure. Puis vint l’été, la plage, les cousins, le soleil, la nage, les beignets chauds à un Dirham et les glaces aux différentes saveurs. Septembre. Les gorges sont serrées. Le cœur bat plus fort. La rentrée scolaire. L’été est fini et avec lui l’insouciance et l’eau salée. Premier cours de français. Surprise. Heureux hasard. Bon scénario. Appelez ça ce que vous voulez. L’essentiel c’est que Mme Zniber était de nouveau ma prof de français. Je suis content. Mais triste. Oui, très triste. Mme Zniber porte un voile. On ne voit plus ses beaux cheveux. Elle n’est plus aussi belle et radieuse qu’avant. Ses yeux se cachent. Son visage est blême. Que s’était-il passé ? Mme Zniber, nouvellement musulmane-pratiquante-voilée ? Je ne sais pas pourquoi, mais c’était une thèse à laquelle je n’adhérais pas. Je ne connaissais pas Mme Zniber personnellement. C’était mon enseignante. On ne prenait pas un café ensemble. Mais je la connaissais quand même. Je savais que ça ne lui ressemblait pas. Je le savais. Mais je n’avais aucun argument.
Reste qu’elle s’était rappelée de moi.
Ça ne faisait pas plus que dix minutes qu’elle était dans la salle, quand elle ordonna le silence et me demanda – m’appelant par mon nom – de me lever. Ce que je fis, tout gêné. Je vous présente Mr O., c’est le meilleur élève que je n’ai jamais eu. J’ai la peau assez basanée. Surtout après un été au bord de la mer. On pouvait quand même voir assez clairement que je rougissais. Je ne savais où me mettre. Un trou. Un gouffre. Une tombe. J’aurais pris n’importe quoi, fait n’importe quoi, pour disparaître et ne pas subir cette gêne énorme. Je ne sais plus ce que j’ai balbutié. Je me suis rassis. Et je n’ai plus lâché un mot de la journée.
Reste que je l’aimais toujours, Mme Zniber.
Son physique avait bel et bien changé. Mais ses qualités d’enseignante, sa culture, son beau français parlé et écrit, étaient toujours intacts.
Maman était prof de français dans un autre collège. Elle connaissait Mme Zniber de loin, l’avait déjà rencontrée dans une réunion de professeurs de français. Maman, pourquoi Mme Zniber met le voile ? Elle est malade, mon fils. Malade ? Quel genre de maladie exige de mettre le voile ? Aucune. Il y a une maladie qui exige des traitements qui font que le patient perd ses cheveux. C’est au patient de choisir. Mettre le voile ou rester la tête nue. Quel genre de maladie maman ? Le cancer, mon fils. Et c’est quoi le traitement ? La chimiothérapie, mon fils. Est-ce que ça a un lien avec le cours de chimie qu’on fait ? Pas exactement, mon fils. Est-ce que je dois lui présenter mes condoléances, maman ? Non, mon fils. Tu n’as pas besoin de faire ça. Que dois-je faire ? Rien, mon fils. Justement rien. Fais-lui sentir que rien n’avait changé. Fais-lui comprendre que tu ne le vois pas, ce voile. Que tu ne vois que sa personne, son âme. Mais je ne vois pas son âme, maman. Oui, tu la vois. Tu ne t’en rends juste pas compte. Sinon, tu ne t’intéresserais pas à elle. Est-ce que je vois l’âme de l’épicier Ibrahim, maman ? Décris-moi, Ibrahim. Il a une moustache et il compte l’argent vite et avec précision. Comment est-il habillé ? Je ne sais pas. As-tu déjà remarqué s’il était malade, heureux, triste ? Non. Lui as-tu déjà parlé plus que deux minutes ? Non. S’il est triste demain, vas-tu lui présenter tes condoléances ? Je ne crois pas que je saurai s’il est triste ou pas. Alors, tu ne vois pas son âme.
Je gardai le secret pour moi. Je ne dis à personne pourquoi Mme Zniber avait un fichu sur la tête. Je lui souriais, répondais à ses questions. Je faisais de très bonnes rédactions.
Mois d’Avril. Il fait beau ce matin. Un peu frais mais beau. Mme Zniber rentre dans la salle de cours. Elle n’a plus de voile. Ses cheveux sont courts. Elle n’est pas aussi radieuse que le premier jour que je l’ai vue. Mais quand même. Elle est visiblement contente de ne plus arborer le tissu-oiseau-de-mauvaise-augure. Je suis content aussi.
Maman, Mme Zniber ne porte plus de voile. C’est bien, mon fils. Ça veut dire quoi ? Qu’elle a guéri, mon fils. Vraiment ? Ma mère ne répondit pas à cette question et me prit dans ses bras très fort.

Je me suis demandé un jour si Mme Zniber était marocaine. Elle ne parlait qu’en français. Maman, est-ce que Mme Zniber parle arabe ? Bien sûr mon fils. Mais pourquoi je ne l’ai jamais entendue parler arabe ? Un bon prof de langue ne te parle que dans cette langue-là. C’est comme ça que tu apprends.

À la fin de l’année, je suis allé dire au revoir à Mme Zniber. Je ne l’ai plus eue comme prof. Je l’ai rarement vue au collège. Ça me gênait d’être le chouchou d’une prof. Nous étions dans un environnement viril. Il fallait être un homme. Il fallait avoir le cœur dur et ne pas se soucier du malheur ou du bonheur des autres.


J’étais en Europe quand ma mère m’annonça la très mauvaise nouvelle : Mme Zniber était morte. Elle n’avait donc pas vraiment guéri. On ne guérit pas de cette foutue maladie. La grande faucheuse. La grande foutue faucheuse.

Mme Zniber est toujours vivante dans mon cœur. Elle a les cheveux longs et noirs. Elle est majestueusement belle. Elle est le tact et la culture elle-même. Elle parle d’une belle voix. Elle ne mourra jamais.

À toutes les Mme Zniber du monde…

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Monday, May 14, 2007

Le barbier de Nador

Nous sommes à Nador. Une ville du nord du Maroc. Il est aux alentours de neuf heures du matin. W. est représentant commercial d’une compagnie de mobilier de bureau. Il vit à Rabat. Les gens de Nador sont Rifains, berbères connus pour leur (extrême) fierté et leur impulsivité (menant parfois à des colères inimaginables).

W. a une barbe de trois jours. Il a rendez-vous avec un client dans à peu près une heure. Il se dit tout bonnement : J’ai amplement le temps de me faire raser la barbe. Un salon est juste en face. Il s’y dirige et entre tout souriant. Le barbier est un homme d’un certain âge. W., après les salamalecs de circonstance, explique au barbier :
- C’est pour la barbe. J’aimerais néanmoins garder le bouc.
Le barbier le regarde d’une manière désinvolte, fronce les sourcils et lui lâche :
- Jeune homme, je n’ai pas ton âge pour te faire la barbe.
W. se disculpe et quitte le salon de barbier.
W. n’y comprend rien.
Nous non plus.

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Thursday, May 10, 2007

Je suis méchant ou l'éducation subliminale de la masse

Vous devriez avoir peur de moi. Je suis musulman.

Lu ici :

Bienvenue à Slam Cité / Abd Al Malik — 1er août — L’événement slam de l’année ! Une soirée qui débutera avec Ivy et sa bande, qui nous souhaitent la Bienvenue à Slam Cité et nous prouvent qu’à Montréal, le slam se porte très bien ! Quant à Abd Al Malik, une fois sorti du groupe rap N.A.P (New African Poets), il a pris seul la route du slam. Ce Français chrétien d’origine congolaise doit son nouveau nom à sa conversion — radicale — à l’islam. Heureusement, la découverte du soufisme et de la tolérance a influé sur sa musique : le slam islamique, d’accord, mais en militant pour la paix. À l’écoute de son CD Gibraltar, nul doute que celle-ci a trouvé un ambassadeur de première, un véritable roc.

Décortiquons.

On parle de conversion radicale. Radicale ? Cela veut-il dire qu'Adb Al Malik égorgeait les gens dans la rue le lendemain de sa conversion ? Ou qu'Abd Al Malik s'est converti du jour au lendemain ? Comment peut-on en juger si on n'a pas vécu, cohabité avec Abd Al Malik ? Que sous-entend ce mot "radicale" ?

Vous devriez avoir peur de moi. Je suis musulman. En plus, pour aggraver mon cas, je suis un homme. Un homme musulman. Woow. Vous êtes encore là ? Quel courage !


Heureusement, la découverte du soufisme et de la tolérance a influé sur sa musique.

Si j'ai bien compris, ça s'est passé ainsi : un matin, Abd Al Malik s'est converti radicalement à l'islam. Pris par sa soudaine folie (normale pour un musulman), il a égorgé quatre de ses voisins, frappé 6 femmes dans la rue et a commencé à manigancer un attentat à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Heureusement, le lendemain il a connu le soufisme. Bonjour Soufisme, je m'appelle Abd Al Malik, fraîchement converti (radical) à l'islam. Bonjour Abd Al Malik, bienvenue dans mon royaume. Voilà qu'Abd Al Malik était devenu tolérant, apaisé, tranquille. Voilà qu'Abd Al Malik avait oublié tout ce qu'il projetait de faire à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Le monde a failli connaître une nouvelle tragédie.

le slam islamique, d’accord, mais en militant pour la paix.

On ne sait plus ce que les mots "islamique", "musulman", "islamiste", signifient. Même moi (rappelez-vous que je suis un homme musulman. Woow), je m'y perds. "Islamique", pour moi, a une connotation négative. Mais, bon. Le dictionnaire me contredit. J'accepte. Mais alors, pourquoi cette phrase d'une perversité sans limites ? "Islamique, d'accord, mais en militant pour la paix". MAIS. MAIS. Parce que, d'habitude, l'islam, ça milite pour autre chose ? Est-ce que ça milite déjà ? Est-ce qu'on peut être musulman, et ne militer pour rien ? Non ? Il faut militer ? Et donc, par défaut, on milite pour le chaos, les tueries, l'oppression des femmes, l'excision, les bombes, le meurtre de milliers d'innocents ? C'est ça ? Ah, je comprends maintenant. C'est la raison pour laquelle on explique, on éclaircit, on précise. MAIS en militant pour la PAIX. D'accord. Maintenant, j'ai compris.

Vous devriez avoir peur de moi. Je suis un homme musulman. Pire. Je ne suis même pas soufi.

Ce genre d'information-pacotille, au parti pris, à la pensée cachée, n'est pas rare. Presque tous les jours, je vois, je lis, j'entends, des phrases comme ça. C'est subtil. C'est efficace. On ne s'en rend pas compte. Mais c'est là. L'éducation subliminale de l'Occidental moyen à la peur du musulman. Son accoutumance au seul ennemi possible - maintenant que le mur de Berlin n'est qu'un souvenir - : le musulman.

Vous êtes encore là ? Je vous admire. Mais ne dormez pas sur vos deux oreilles. Je suis un homme-musulman-pas-soufi. Chassez le naturel et il revient au galop. Allah est grand mais attache ton chameau.

Je suis méchant. C'est intrinsèque à ma personne. Ne l'oubliez pas.

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Tuesday, May 08, 2007

Un an




Je suis allé voir sur mon ancien blogue. J'ai commencé à bloguer le 22 mars 2005. J'ai déménagé ici le 8 mai 2006. Un an déjà. 205 billets. Quelques belles rencontres. Quelques belles discussions virtuelles. Beaucoup de perte de temps, il va sans dire. Mais, que faire ? Je ne peux m'empêcher de "libérer mes pensées".

Merci aux lecteurs de ce blogue...

PS : Il semble que mon gâteau n'ait pas plu à mes lecteurs. Des études marketing très poussées montrent qu'il faut suivre le choix des lecteurs. J'ai donc changé de gâteau. J'espère que vous serez (enfin) satisfaits.


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Thursday, May 03, 2007

L'Amérique, l'Amérique

Réflexe montréalais. Ou québécois. Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que quand il commence à faire beau, il faut réparer son vélo, le réajuster, le remettre en forme. Je suis montréalais. Et mon vélo était dû pour une bonne réparation. Je suis allé chez Renaud. Renaud ne chante pas. Renaud n’a pas de bandana rouge et n’est Morgane d’aucune Lola. Enfin, pas que je sache. Notre Renaud national a une quarantaine d’années. Hâbleur au torse nu, il travaille ailleurs de jour et répare des vélos pendant tous les après-midi de l’été. Quand Halloween arrive, il offre des bonbons aux petits du quartier et ferme boutique. Si vous allez le voir, il va vous raconter cette histoire. Autant de fois que vous irez, Il vous la répètera son histoire. Il en est fier.

Mon vélo avait les deux pneus crevés, les rayons de la roue brisés, les freins coupés. Les chers employés syndiqués de la Ville de Montréal avaient fait du bon travail (en le déplaçant d’une place à une autre, ils avaient causé tous ces dommages). Quand Renaud vit ça, il me dit derechef qu’il aurait besoin de temps. Je me suis absenté deux jours et je suis revenu. Alors Renaud ? Ah, c’est-tu toi le bycic’ vert ? J’ai pas encore tout réparé. C’est Jésus qui va te réparer les roues. Et il pointa du doigt un monsieur à côté. Jésus avait une barbe grisonnante et longue. Il avait entre 40 et 60 ans. Les gens comme lui arrêtent d’avoir un âge à partir d’un certain temps. Il était assis sur un bout de bois et buvait une grosse bouteille de bière de 1.18L. Il la leva en ma direction. Je lui fis signe de la tête. Jésus. Jésus. Ça m’a pris 29 ans pour te rencontrer en personne. Et tu ne t’es même pas rasé. Et tu ne t’es même pas levé pour me serrer la main. Mais qu’importe, tu vas réparer mon vélo. Tu vas faire un autre miracle. Et Dieu (jeu de mot douteux) sait ce que j’en ai besoin de mon vélo.
Je suis parti. Un peu déçu. Mais pas trop. Il pleuvait. Et je ne suis pas un amateur-de-vélo-extrême. Je ne prends pas mon vélo quand il pleut. Ni quand il neige. Ni quand il fait froid. Je le prends quand il fait beau. Quand le soleil est maître du ciel.
Je suis revenu quatre jours plus tard.
- Tu es pas venu la fin de semaine. Il était prêt le vélo.
- Je t’ai laissé du temps.
- Il est prêt là. Il fait un peu de bruit. Parce que les roues sont encore neuves. Essaye-le voir.

J’ai fait un grand tour. Descendu la pente. Remonté la pente. Quand je suis revenu, Renaud était un peu inquiet.
- Tu as quand même pas cru que j’allais filer ?
- On sait jamais de nos jours.
- Bein voyons.

Je lui ai passé une petite canette de bière que j’avais achetée en revenant.
- Tu connais ma sorte (de bière) en plus.
- Ouais. Je te dois combien ?
- Donne-moi 30 piastres, pis ça va être correct.

Je ne négocie pas. Je lui tends 30$. Le sourire dans le visage.
- Alors, il va bien ?
- Oui, il roule très bien.
- Encore un client satisfait.
- J’étais déjà ton client, Renaud. Tu m’avais vendu un autre vélo. J’avais négocié à l’époque.
- Ah oui ? Tant que ça.
- Moitié-prix.
- Aha.
- Mais aujourd’hui, tu mérites ton argent. Il est presque neuf le vélo.
- Merci.
- Bon, je vais y aller. À la prochaine Renaud.
- À la prochaine.

Il buvait déjà sa Budweiser.

Quand je vais chez Renaud, je me sens en pleine Amérique profonde. C’est comme si j’étais dans un film des frères Coen. C’est comme si The Big Lebowski était là, partout. Jésus est, d’ailleurs, une sorte de Big Lebowski montréalais. Il a la barbe. Il a le style. Ne lui manque que le White Russian et les lunettes de soleil.
Quand je vais chez Renaud, je suis en pleine Amérique profonde. Imaginez-vous. Un bonhomme torse nu et mains graisseuses. Autour de lui, un tas de personnes qui ne font rien. À part être là. Et jaser de tout et de n’importe quoi. Une radio cachée qui parle, qui chante. Renaud me lance des mots empruntés de l’anglais à tout bout de champ. Il me parle de tire et d’autres choses que je ne comprends pas des fois. Il me rappelle mon garagiste. Enfin, il me rappelle TOUS les garagistes que j’ai connus au Québec. Quand ils me parlent, je ne comprends que la moitié de ce qu’ils disent. Et je suis ici depuis presque dix ans. Avec eux, c’est à coup de muffler, de wiper et de windshield. Si j’avais été à Toronto ou à New York, j’aurais compris ce qu’ils disaient. Mais là, en plein Montréal, avec un accent québécois. Au milieu d’un « il mouille »* ou d’un « sacrament »**, on se perd. Et on est en Amérique profonde. Là où le temps s’arrête. Là où la logique s’éteint. Et ça me fait l’effet d’un vieux tarbouchu au Maroc qui, du bout de ses babouches jaunes et de sa bouche édentée, au milieu de deux gestes furtifs de la main pour chasser des mouches imaginaires, répond à un appel sur son cellulaire dernier cri avec un « Allou » qui réveillerait un mort.

L’Amérique profonde, ce n’est pas qu’aux États-Unis. L’Amérique profonde, c’est partout en Amérique. À Montréal, plus vous allez à l’est de la ville, plus vous êtes en Amérique profonde. Et c’est le désordre. Et c’est un enfant de 10 ans, le ventre garni, les joues imposantes, qui boit du Pepsi et mange des chips impunément. Et c’est Jésus qui répare des roues de vélo entre deux grosses bières fortes. Et c’est des enfants qui s’assoient devant la boutique de Renaud et écoutent, apprennent la vie, apprennent demain. Tiens, l’autre fois, en revenant de chez Renaud, je vois une femme d’un certain âge, tomber doucement par terre. Doucement. En ralenti. J’arrive, je la soulève. Elle me dit doucement « help ». Quand elle est debout, elle reprend doucement sa marche. Je remarque qu’elle a un sac dans la main. Je remarque qu’il y a une bouteille vide dedans. Je remarque qu’elle a les cheveux gris et la peau fripée à souhait. Je remarque qu’elle s’avance quand même d’un pas décidé. Vers où croyez-vous ? Le dépanneur du coin. Et que va-t-elle chercher ? Une bière, pardi. Au même moment que je la soulevais doucement, deux adolescents montaient par le balcon dans un appartement du deuxième étage. Ils n’avaient pas l’air de voleurs. Non. La sœur de l’un d’entre eux était en bas. Prenez les escaliers sacrament. Les deux adolescents riaient à plein cœur. Et ils sont finalement arrivés sains et saufs au deuxième étage. Une seule mauvaise manœuvre et ç’aurait été la tragédie.
N’est-ce pas l’Amérique profonde ça ? Et en suivant la dame qui avançait vers le dépanneur des yeux. Et en écoutant d’une demi-oreille les cris de la sœur et les rires des adolescents, je pensais aux touristes du Vieux-Port sur leurs calèches folkloriques, bravant leurs appareil-photos numériques. Et je pensais qu’ils avaient tout faux. Car ils étaient venus jusqu’en Amérique, sans voir l’Amérique profonde. Sans voir Renaud, Jésus, la vieille-qui-tombe-doucement et les deux adolescents-spiderman.

Mon vélo marche comme du tonnerre. Je l’ai pris hier soir. Et j’ai cavalé vers le centre-ville. Il faisait un peu frais. L’air frais, c’est très bon à respirer. Surtout à 22h 00 quand la ville a absorbé toute la pollution de la journée. Je respirais et mes poumons noircissaient…Enfin, j’imagine.


* Il mouille : il pleut.

** Sacrament : Dérivé de Sacrement. Façon de jurer ici.

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