Sunday, July 29, 2007

Perles marocaines (1)

Mon oncle et moi déambulons dans la médina. On vend de tout. Des épices, des théières, des t-shirts, des babouches, des sacs, des montres, des CDs, etc. C’est une sorte de Chinatown arabe. Les CDs sont, bien entendu, copiés. Ça coute 20 Dhrs (2 Euros). Mon oncle s’est dernièrement épris d’Eminem. Dans un des kiosques, nous remarquons un jeune vendeur. Noir de peau, de grandes lunettes, la chemise ouverte sur le torse. Il a du style. Nous nous approchons. Mon oncle lui demande :
- Aurais-tu Eminem ?
Le type le regarde pendant quelques secondes. L’attitude désinvolte, il penche tout son corps sur le comptoir garni de CDs de tous genres. Il répond calmement :
- Eminem, ce n’est pas un chanteur. Choisis autre chose…

Mon oncle me regarde. Je le regarde. Il vit aux États-Unis. Je vis où vous savez. Parfois, souvent, ou même tous les jours de notre séjour, nous sommes des étrangers au Maroc.

Mon oncle me regarde. Je le regarde. D’un signe de la tête, on se met d’accord sur l’imminente nécessité de déguerpir. Un bref salamou alikoum et nous partons.

Quelques mètres plus loin, je pouffe de rire, il pouffe de rire, nous pouffons de rire.

Le dépaysement, ce n’est pas seulement la plage, le désert, les odeurs, le couscous, la lenteur, le muezzin et Marrakech.

Choisis autre chose.

C’est une autre forme de dépaysement.

D'ailleurs, maintenant que j'y pense, ça ferait un bon slogan de parti politique.

Choisis autre chose.

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Feels good to be home !

Je suis de retour. Un peu fatigué. Un peu heureux. Un peu anxieux. Un peu déprimé. Le retour des vacances n'est pas la chose la plus facile à vivre. On atteint un sommet et puis on tombe. Chute libre. Après le beau temps, la pluie.

Beaucoup d'histoires à raconter. Pas beaucoup d'énergie pour le faire.

Stay tuned !

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Thursday, July 12, 2007

Nouvelles ordinaires du Maroc (1)


Dès mon arrivée, W. me met au parfum : Le Maroc est en alerte maximale. Je l’avais déjà lu dans le journal dans l’avion dans le ciel si grand, si vaste qu’on a honte d’y être.

Oui, je l’avais déjà lu, absorbé, digéré. Tout ça est presque normal. Les élections arrivent au galop. Il faut un peu de terreur. On s’y attendait tous.

Aujourd’hui, à la radio, quelques personnes exprimaient leur inquiétude. Oui, la police est partout, mais pas dans les supermarchés. Oui, nous sommes vigilants, mais est-ce assez ? Et qu’est-ce qui serait assez ? Un couvre-feu ? Un état policier ? Ce serait la victoire du terrorisme et la fin de la liberté. Et justement, aujourd’hui, j’ai été l’espace de quelques heures libre. Très libre. Palmes bien attachées aux pieds et pas plus que mon maillot de bain comme uniforme de conquête, j’ai bravé quelques vagues de l’Atlantique. La mer se rappelait encore de moi. Elle m’a cajolé de la main gauche et foutu des claques de la main droite. Ce fut très agréable. Je ne pus m’empêcher de penser à la liberté. Ou plutôt à la non-liberté. Dans un état islamiste, je n’aurais jamais pu me baigner en toute quiétude en compagnie de la gente féminine. Jamais. Ai-je besoin de la gente féminine à côté de moi ? Pas spécialement de la gente féminine. Croyez-moi, j’ai bouquiné, piqué une tête, piqué une tête et bouquiné entre quelques discussions avec ma petite sœur. Avec ma petite sœur. Avec ma petite sœur qui ne serait pas là dans un tel cas. Ou alors elle serait vêtue différemment. Mais il n’y a pas que ça. L’absence de toutes les femmes sur une plage me dérangerait. Je veux une plage avec des êtres humains épanouis. Pas un apartheid. Pas une division d’ensembles formés sur la base du sexe. Je veux une plage avec TOUTES les espèces humaines. Et je veux ces espèces libres de se baigner, de parler, de s’habiller comme bon leur semble.


Dans la rue marocaine, rien n’a changé. La cacophonie, la couleur grise des visages, une certaine lassitude ambiante et générale, les anachronismes qui pleuvent. Tout est là. Comme d’habitude.

Dans la rue marocaine, rien n’a changé. Quand vous conduisez, il faut être alerte. Une moto vous surprend. Un passant sort du néant. Une voiture vient en sens interdit et vous apercevez une main qui sort de la vitre : le conducteur vous demande pardon avec le plus beau sourire du monde. Les rues sont en chantier. La gentillesse du peuple est toujours aussi touchante. Tout le monde est frustré. Tout le monde est gentil. Tout le monde est vrai. Rien n’est jamais à moitié.

Dans la rue marocaine, rien n’a changé. Sauf que je suis là. Et je déambule. Et je scrute. Et tout est enregistré dans des recoins insoupçonnés de ma mémoire.


Dès mon arrivée, W. m’a mis au parfum. Ma première réaction ? On va rester gentiment sur la terrasse et siroter un bon vin marocain, tranquilles, peinards. Voilà 4 ans, au lendemain des attentats du 16 mai, ma réaction fut toute autre. Ils ne me feront pas peur, je sortirai, danserai, boirai et qu’ils aillent se faire foutre.

Est-ce l’âge ? La terreur ? Les deux ? Je ne saurais vous dire.

J’y ai bien pensé. Et vendredi, je sors.

Vendredi, je sors.

Il fait chaud. Et je ne m’en plains pas.

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Sunday, July 08, 2007

Le pare-brise était amoché. Le tuyau d’échappement faisait un méchant bruit. La voiture arrivait à la fin de son cycle. Elle avait 16 ans. L’âge de ma sœur. J’ai décidé de m’en débarrasser.

On était mardi. Je devais faire des courses. Sur le fameux pare-brise, je trouve une carte d’affaires. Normand G. rachète des voitures et les recycle. Ca tombe à pic. Une coïncidence ? Nah. Le coup d’œil. Le flair. Normand G. a senti que la voiture avait besoin de ses soins et il m’a tendu la perche. Je mords. Je l’appelle et je lui parle de l’affaire. Je voudrais te la vendre samedi, parce que je pars en voyage dimanche. Et que j’en ai encore besoin. Pas de problèmes. Voici mon adresse. Passe le samedi et on règle ça ensemble. Tu veux combien pour ça ? Je lui lance un prix que je sais utopique. Il rit. Tu ris de moi, Normand ? Non, monsieur. Je ris, c’est tout. Je suis un gars avec beaucoup d’humour. Bon, alors ? Bein, ramène-la et on verra ça ensemble. Peux-tu me donner ton numéro de téléphone ? Oui bien sûr. Je lui balance les chiffres. Huit. Trois. Trois. Vingt et un. Il m’arrête, net. Peux-tu me donner les chiffres un par un, détachés ? Réflexe montréalais, je lui demande s’il préfère que je parle en anglais. Non, non. J’ai de la misère avec la lecture et l’écriture. Mais je m’en sors quand même. Normand commence à se justifier. Non. Non. Ça va, Normand. Pas besoin de m’expliquer. Je respecte. Dis-moi, Normand, c’est sûr qu’on va la faire, la transaction, samedi ? Je veux dire, je n’ai pas besoin d’appeler quelqu’un d’autre ? Non, monsieur. On va la faire, la transaction. Dis-moi, Normand, si je te vends la voiture, je fais comment pour revenir chez moi ? (C’est que je n’aime pas le transport en commun la fin de semaine.) Je te ramènerai, mon cher monsieur. Sûr ? Oui. Sûr et certain.

Quand je raccroche, j’ai un étrange sentiment. Je me sens bien entendu mal. Je l’ai embarrassé, le Normand. Et je n’en avais aucunement l’intention. Curieusement, je me sens bien, aussi. J’ai comme un brin d’espoir qui me flotte dans le cœur. C’est étrange. J’ai même des papillons dans le cœur. Le genre de papillons que vous avez quand vous quittez votre école primaire et que vous entrez pour la première fois au collège, au milieu de ces étudiants plus grands, plus forts, plus existants.

Samedi. Je fais mes courses. Je vais au YMCA. J’ai tout fini, tout acheté. Je suis fatigué. Lavé. Légume. Je prends la rue Sherbrooke et je me dirige chez Normand. Quand j’arrive à la rue qu’il m’a indiquée, je prends mon cellulaire et je compose son numéro pendant qu’à côté de moi, dans une voiture blanche et assez vieille, un homme d’une certaine stature me jauge du coin de l’œil. Une femme répond au téléphone. Normand n’est pas là. Il y a eu de la mortalité dans la famille. Essayez son Paget. Je raccroche et je me dis de suite que je ne vendrai jamais cette voiture. Ça y est. Le dieu des voitures en a décidé ainsi. Je resterai avec cette carcasse rouge sur les bras. Jusqu'à la fin des temps. Jusqu'à ma fin. L’homme à côté sort de sa voiture. Il est grand. Il est fort. Il a les yeux clairs et les cheveux gris. Une bonne bouille. Il s’approche. C’est pour l’Acura ? Oui. C’est toi, Normand ? Je me disais bien. Je sors de la voiture et lui donne les clés. Tiens, tu peux l’essayer si tu veux. Il la démarre, accélère, freine. Puis l’éteint. Il sort. 75$. Ça te va ? Euh, non. On avait dit 300$. Je n’ai jamais rien dit. Tu sais, c’est une bonne voiture. Si tu la retapes, tu répares le pare-brise, tu pourrais la revendre beaucoup plus cher.
On négocie comme ça, pendant une bonne dizaine de minutes. À un moment donné, Normand fait le tour de la voiture, réfléchit, fronce les sourcils. Il s’approche, sourit et me tend la main. Marché conclu. 150$. C’était le prix que je demandais depuis cinq minutes. Il me demande de le suivre. Je stationne la voiture au bout de la rue. Il sort avec ses papiers. Cette fois, j’ai décidé de ne pas l’embarrasser. Je remplis le papier pour nous deux. Je prends son permis et je transcris son nom, le numéro du permis et tout le reste. Normand me tend l’argent. Tu vas me donner un lift ? Bien sûr, j’ai donné ma parole. En chemin, Normand, sachant que je pars en voyage, me demande où je vais. Maroc. Belle place hein. Oui. Belle place. Ensuite, il me parle du beau-frère qui vient de mourir. Il était en bonne santé, prenait soin de lui. Mais le bon Dieu le voulait. Moi, j’ai déjà eu beaucoup d’accidents. Trois graves accidents. Et je n’avais même pas mis la ceinture de sécurité. Mais le bon Dieu ne voulait pas encore de moi. Je suis encore là. Vois-tu, mon ami, moi, je ne sais ni lire ni écrire. Mais un homme qui veut travailler se lève de bonne heure et trouve du travail. Il y a des pays où la majorité des gens ne sait ni lire ni écrire. Mais ils font des choses tellement belles que moi je ne saurais jamais faire. Mais je sais faire d’autres choses. Et je m’en sors comme je peux.

Il s’en sort très bien, le Normand. Il s’en sort mieux que beaucoup de gens qui ont plus de 400 mots dans leur vocabulaire, font de longs calculs mentaux en deux temps trois mouvements ou connaissent l’histoire de l’humanité par cœur depuis son début, depuis sa genèse. Il s’en sort mieux que moi, qui lui ai demandé s’il préférait que je parle en anglais, dans un élan jamais inégalé de pure maladresse.

Je lui ai donné une chaleureuse poignée de main. Et dans ses yeux clairs, et dans ses cheveux gris, j’ai cru encore une fois apercevoir la lueur d’un espoir.

L’espoir qu’un jour, nous serons tous humains. Enfin humains. Enfin intelligents. Enfin avec du cœur.



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Monday, July 02, 2007

J'y pense et puis j'oublie

Je vis dans un pays bizarre, divisé, morcelé, presque inexistant. Ou je vis dans une province bizarre, trop existante, trop compacte, trop homogène.

Je m’explique.

24 Juin. Fête du Québec. Le Québec est en feu. Ça chante, ça boit, ça crie dans les rues. Le monde est sens dessus dessous. Enfin, le Québec. Seulement le Québec. Les chanteurs performent. Les discours patriotiques vibrent. Les gens vibrent. Je le sais. J’y ai déjà été. Et j’ai vibré. Les drapeaux bleus trônaient. Des relents de fraternité régnaient un peu partout. Je me suis senti québécois. Et ce n’est pas chose courante.

1er Juillet. Fête du Canada. Le Québec est…bein rien. Je vois à la télé un défilé, des chars allégoriques. Un discours terne d’une gouverneur générale que j’aime de moins en moins. Un discours non moins terne d’un premier ministre que je n’ai jamais porté dans mon cœur. Une scène teintée de couleur bleue. Moi, je connais le Canada rouge et blanc. Ça vient d’où ça le bleu ? (les mauvaises langues diront que c’est le parti conservateur qui en a décidé ainsi. Peut-être). Gregory Charles chante en direct. Eva Evila. Je ne sais qui d’autre. On le sait tous, les artistes québécois n’y vont pas souvent, leur capital sympathie risquant une dégringolade inimaginable. Ici. Au Québec. Où il y eut défilé et chants. Où certains ont fêté le Canada. Mais qui ? Mais qui ? Je n’en connais pas un seul. Ces derniers jours, c’était même un running gag tout autour de moi. Bonne fête du Canada. Et tout le monde rit. C’est à n’y rien comprendre. Ça existe-tu ça, le Canada ? Je veux dire. Au-delà de la carte du monde. Au-delà de la confédération. Au-delà des niaiseries terrestres. Ça existe-tu le Canada ?

Mon opinion est bien sûr subjective (des opinions objectives n'existent de toutes les manières pas..). Je n’ai pas beaucoup d’amis anglophones. Et ceux qui le sont, sont souvent des immigrants. Ils se sentent donc Canadiens. Mais pas au point de sortir leur drapeau rouge et blanc sur le balcon. Et de virer une méchante brosse le 1er Juillet. Pas à ce point. Mes amis francophones sont divisés en plusieurs catégories. Les souverainistes purs et durs : Si on devient indépendant, les anglos dehors. Les souverainistes idéalistes : Si on est indépendant, on vivra mieux. Que tout le monde reste ! Les pseudo-souverainistes : Je veux qu’on soit un pays. Mais je sais pas. J’ai pas envie de perdre mon niveau de vie. Mon char, ma maison, mon gazon. Les fédéralistes : Je ne veux pas de Québec indépendant. Le Canada, c’est bon.
Vous en conviendrez, ça ne laisse pas beaucoup de gens pour fêter le 1er Juillet. D’ailleurs, rappelons-nous d’une chose : le 1er Juillet, au Québec, à Montréal plus précisément, ça déménage. Les citoyens s’échangent leurs appartements dans un gros bordel charmant qui est souvent le synonyme d’un nouveau départ, la conséquence d’une douloureuse rupture, l’effet d’un ennui terrible, ou encore la simple envie d’un espace plus grand.
Alors, qui fête le Canada ?
Le reste du Canada. Le Canada moins le Québec. Le Canada anglophone. Et ça fait un pays émietté, fantomatique, imaginaire. Et ça fait que je doute. Et ça fait que je me dis, des fois, que le Canada est un pays d’apatrides qui se rassemblent pour la simple et unique raison que c’est convenable.

Et moi ? L’ai-je fêté ce beau Canada ?

Dutronc le disait mieux que moi. Mais je vais m’essayer.

30 millions de Canadiens. Et moi, et moi et moi. Du fond de mon sofa. J’y pense et puis j’oublie. J’y pense et puis j’oublie.

Non, je ne l’ai pas fêté. Je n’ai pas fêté le Québec non plus.

Ça m’tentait pas. Voilà.

Parce que. Soyons réalistes pour une fois.

Au milieu d’une foule déchaînée, qui chante des chansons patriotiques. Tu fais comment quand tu as envie de pisser ?
J’y pense et puis j’oublie. J’y pense et puis j’oublie.

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