John Fante

Je ne suis pas un grand fan de Bukowski. J’ai essayé de le lire une fois. J’ai oublié le livre dans un avion. Peut-être mon cerveau avait-il décidé que je me devais de l’oublier.
Je ne suis pas un grand fan de Bukowski. Mais je lui dois une fière chandelle. Peut-être même que tous les fans de John Fante lui en doivent une. Car un jour, Bukowski est tombé sur un livre. Car un jour, Bukowski trouva son Dieu (Il dira plus tard : Fante was my god and I knew that the gods should be left alone, one didn't bang at their door). Et le livre s’appelait « ask the dust ». Et le Dieu s’appelait John Fante. Et Bukowski eut envie d’écrire. Et il eut beaucoup de succès. Et il convainquit son éditeur Black Sparrow Press de rééditer les œuvres complètes de Fante. Et c’est peut-être grâce à cette réédition que moi, jeune lecteur d’autres temps, connus un jour John Fante. Peut-être. Peut-être pas.
Je ne sais plus par quel roman j’avais commencé. Je sais que je les ai tous lus. Avec beaucoup de plaisir. Je sais que « Mon chien stupide » était drôle. Je sais que « Bandini » était touchant. Je sais que « Rêves de Bunker Hill » était trippant. Je sais qu’à la fin de « Demande à la poussière », j’étais bouleversé, ému, mais surtout convaincu d’avoir lu l’œuvre d’un écrivain qui a eu du courage. Beaucoup de courage. Car décrire sa propre misère, décrire sa propre arrogance, décrire sa propre cruauté, ça demande du courage.
Quand j’eus lu tous ses livres, je me suis senti désemparé, las, triste. Je ne pourrai plus jamais lire un roman de Fante. Je ne pourrai plus jamais lire sa folie, sa sensibilité unique, son regard différent du monde, de ses proches, de son père et de sa mère. Quel autre écrivain pourra encore m’exposer ce désarroi qui l’habitait, parce qu’il était (seulement) scénariste et pas écrivain (reconnu) ? Quel autre romancier que Fante pourra me décrire ces rapports d’amour-haine qui le liaient à ce père colérique, buveur et sans le moindre tact ? J’étais orphelin, endeuillé, sans lendemain.
John Fante eut 4 enfants. L’un d’eux, après des années d’alcool et de déchéance, décida d’écrire. Et le fit avec assez de talent. Il s’appelle Dan Fante. J’ai lu trois de ses livres. Son verbe est proche de celui de son père. Mais plus crû, moins subtil. Ce fut un plaisir de le lire. Mais le plaisir n’égala jamais celui de lire les mots qui remplirent ces livres merveilleux et sincères que John, dont Dan parle dans « Les anges n’ont rien dans la poche », commit.
La vie de John Fante, elle-même est un roman. Fils d’immigrés italiens, il naquit au Colorado en 1909. Dans ses livres semi-biographiques (car, comme dit Romain Gary, « Sous la plume, sous le pinceau, sous le burin, toute vérité se réduit seulement à une vérité artistique. »), il nous décrit d’abord (dans « Bandini », « Le vin de la jeunesse », « L’orgie », « Les compagnons de la grappe », etc.) avec beaucoup de sincérité, cette jeunesse d’italien catholique, qui aurait voulu avoir un nom américain, qui rêvait d’être une vedette de baseball, qui aimait déjà les femmes. Il y a ensuite la phase de Fante adulte (« Pleins de vie », « Rêves de Bunker Hill », « Mon chien stupide », etc.) où Fante vit assez aisément- mais tristement - de ses scénarios, mais rêve tous les jours d’être un écrivain reconnu et admiré.
« Demande à la poussière », quant à lui, nous décrit un Fante jeune et fugueux, vivant dans un hôtel, mangeant des oranges empruntés à l’épicerie du coin, et rêvant d’écrire un roman puissant qui le fera enfin reconnaître. Il tombe amoureux de Camilla Lopez, une serveuse mexicaine, qui elle-même est amoureuse de Sami le barman américain. Les personnages sont paumés, émotionnellement compliqués, crapuleux, fous. L’écriture est simple, fluide, pleine de nous, de vous, de tous les êtres humains et de leurs angoisses existentielles.
Atteint de diabète vers la fin de sa vie, Fante, aveugle et amputé des deux jambes, dicta son dernier roman à sa femme Joyce, « Rêves de Bunker Hill », décrivant le monde du cinéma, sa vie de nouveau scénariste, son manque de confiance, la folie qui régnait à Hollywood, le stress que lui engendraient les chèques qu’il encaissait sans rien faire. Encore une fois, Fante écrit (ou devrais-je dire « dicte ») avec ses trippes, son cœur, son âme. Et on se surprend à l’imaginer, vieux, aveugle et handicapé, racontant sa vie par bribes à Joyce l’aimante, la compagnonne de toujours , comme dans un grand film de Coppola, comme dans un film biographique d’un grand artiste, comme dans film d’un grand homme, un peu oublié, un peu sous-estimé, un peu laissé-pour-compte. Car la vie est injuste. Car la vie est injuste.
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