Nouvelles ordinaires du Maroc (1)
Dès mon arrivée, W. me met au parfum : Le Maroc est en alerte maximale. Je l’avais déjà lu dans le journal dans l’avion dans le ciel si grand, si vaste qu’on a honte d’y être.
Oui, je l’avais déjà lu, absorbé, digéré. Tout ça est presque normal. Les élections arrivent au galop. Il faut un peu de terreur. On s’y attendait tous.
Aujourd’hui, à la radio, quelques personnes exprimaient leur inquiétude. Oui, la police est partout, mais pas dans les supermarchés. Oui, nous sommes vigilants, mais est-ce assez ? Et qu’est-ce qui serait assez ? Un couvre-feu ? Un état policier ? Ce serait la victoire du terrorisme et la fin de la liberté. Et justement, aujourd’hui, j’ai été l’espace de quelques heures libre. Très libre. Palmes bien attachées aux pieds et pas plus que mon maillot de bain comme uniforme de conquête, j’ai bravé quelques vagues de l’Atlantique. La mer se rappelait encore de moi. Elle m’a cajolé de la main gauche et foutu des claques de la main droite. Ce fut très agréable. Je ne pus m’empêcher de penser à la liberté. Ou plutôt à la non-liberté. Dans un état islamiste, je n’aurais jamais pu me baigner en toute quiétude en compagnie de la gente féminine. Jamais. Ai-je besoin de la gente féminine à côté de moi ? Pas spécialement de la gente féminine. Croyez-moi, j’ai bouquiné, piqué une tête, piqué une tête et bouquiné entre quelques discussions avec ma petite sœur. Avec ma petite sœur. Avec ma petite sœur qui ne serait pas là dans un tel cas. Ou alors elle serait vêtue différemment. Mais il n’y a pas que ça. L’absence de toutes les femmes sur une plage me dérangerait. Je veux une plage avec des êtres humains épanouis. Pas un apartheid. Pas une division d’ensembles formés sur la base du sexe. Je veux une plage avec TOUTES les espèces humaines. Et je veux ces espèces libres de se baigner, de parler, de s’habiller comme bon leur semble.
Dans la rue marocaine, rien n’a changé. La cacophonie, la couleur grise des visages, une certaine lassitude ambiante et générale, les anachronismes qui pleuvent. Tout est là. Comme d’habitude.
Dans la rue marocaine, rien n’a changé. Quand vous conduisez, il faut être alerte. Une moto vous surprend. Un passant sort du néant. Une voiture vient en sens interdit et vous apercevez une main qui sort de la vitre : le conducteur vous demande pardon avec le plus beau sourire du monde. Les rues sont en chantier. La gentillesse du peuple est toujours aussi touchante. Tout le monde est frustré. Tout le monde est gentil. Tout le monde est vrai. Rien n’est jamais à moitié.
Dans la rue marocaine, rien n’a changé. Sauf que je suis là. Et je déambule. Et je scrute. Et tout est enregistré dans des recoins insoupçonnés de ma mémoire.
Dès mon arrivée, W. m’a mis au parfum. Ma première réaction ? On va rester gentiment sur la terrasse et siroter un bon vin marocain, tranquilles, peinards. Voilà 4 ans, au lendemain des attentats du 16 mai, ma réaction fut toute autre. Ils ne me feront pas peur, je sortirai, danserai, boirai et qu’ils aillent se faire foutre.
Est-ce l’âge ? La terreur ? Les deux ? Je ne saurais vous dire.
J’y ai bien pensé. Et vendredi, je sors.
Vendredi, je sors.
Il fait chaud. Et je ne m’en plains pas.
Labels: Histoires marocaines
le Maroc ne changera pas, espérons. mes pensées tu les a écrites, mieux que je n'aurais su le faire...merci.
Au fait, amuse toi bien vendredi.
A+
et tu es là. tu es bien là.
Je te souhaite un beau voyage malgré les tensions...
Amuse toi, plonge, bronze, arpente la plage avec le torse nu et uen fille pendue à ton bras, fusse-t-elle sa soeur, sors, ris, danse, bois. Vis.
S'ils nous prennent ça, il ne nous reste rien. Et nous serons à jamais trop jeunes pour nous conjuguer au passé et vivre sur nos souvenirs.
Bonnes vacances...
Espérons que le Maroc ne deviendra jamais un pays islamiste, et que tu pourras toujours boire du vin marocain en toute quiétude, comme tu le fais ces jours-ci...