Le bout du tunnel
Je ne la connaissais pas. Je ne la connaissais point. Et la nouvelle est tombée. Comme un amat de rochers qui tombe dans une minuscule piscine. La terre a tremblé. La piscine ne pouvant tout prendre, l'eau a débordé. Les larmes ont débordé. De partout. De partout.
Elle est mourante. Cancer. Cancer du coeur. Il y en a cinq dans le monde entier.
Il faut aller la voir. Là-bas. À Laval. Les soins palliatifs. J'ai eu mal au coeur. Et ce n'était pas de circonstance. Il aurait fallu avoir mal au foie, aux poumons, aux ganglions, à la cheville droite. N'importe quoi. N'importe où. Mais pas le coeur. Je n'avais pas le droit.
Une longue route. Un silence pire que le pire des vacarmes. Le noir. Car il fait nuit. Dehors et dans nos coeurs. Je n'ai pas envie d'y aller. Elle est mourante. Je sais que ça va me marquer. Je le sais.
Une longue route. Et au bout, la clinique. C'est propre. Tout le monde sourit. Les bénévoles sourient toujours. Comme pour dire que oui, ils sont fiers de ce qu'ils font. Que c'est vrai. Que ça vient du coeur.
Encore le coeur ! Je n'ai pas le droit.
La chambre. Le lit. Vide. Où est-elle ? Partie fumer.
Pas le temps pour la morale à deux sous. Elle fume. Elle va mourir. Elle peut bien fumer, non ?
Je prends un siège. Je fais le con. Un peu plus et je ferai des pirouettes. Pour adoucir l'atmosphère. Mais elle ne s'adoucit pas. Il n'y a rien à faire.
La fille et le conjoint ont faim. Ils commandent quelque chose.
Elle entre. La peau blanche. Très blanche. Mais le sourire. Elle est vivante. Plus vivante qu'un million de cons de ce monde. Brel surgit : "Je te dis mort aux cons - Bien plus cons que toi - Mais qui sont mieux portants." Je la serre légèrement. Non. Pas la compassion. J'ai pas le droit. Non. Pas la pitié. J'ai pas le droit. Pas le droit. Pas le droit. Reste vrai.
Je reprends mon siège. Je l'écoute parler. Les assurances. La notaire. La mort. La mort. La mort.
J'ai mal au coeur.
Pas de commentaires.
La commande arrive. Ils se sont trompés. La fille les appelle. Elle se fâche. Elle annule. Ils vont se déplacer. C'est bien. La futilité de la vie qui continue. C'est ça qu'il faut. Sinon, ce serait la tragédie chaque jour. C'est lourd à porter, la tragédie chaque jour. C'est bien. Allez manger !
En arrière d'elle, une guitare. Je me demande qui en joue. Je le demande discrètement. On me répond : les madelinois. Tous les madelinois chantent. Tous les madelinois jouent de la guitare.
Ah bon !
J'aime.
Je reste tranquille. Ma tête arrête de fonctionner. Je suis amorphe. Fini. Une larve. Je n'en peux plus. Que quelqu'un prenne cette guitare et qu'il me chante quelque chose. Du genre "life is life, nana na na na".
Oui, je sais. Je n'ai pas le droit.
On s'en va. Je la serre de nouveau. Légèrement. Sans exagération.
Même route. Même silence. Même nuit. Mêmes démons. La route est longue.
Deux semaines plus tard (ou moins ??), elle n'est plus.
On l'expose.
Malgré une moitié de vie en occident, je n'arrive pas à m'habituer à cette tradition. On m'appelle pour lire un (beau) texte, dédié à elle. C'est à côté du corps. Mes jambes manquent de me lâcher. Je lis rapidement et galope vers la sortie.
Une discussion avec le frère. Un homme simple. Avec un bel accent. C'est là que la vie devrait être comme facebook. J'aurais cliqué "J'aime". Mais non. Ce n'est pas comme ça, la vie. Je l'écoute. Et ses histoires me bercent. Il me parle des îles. Et j'ai envie d'y aller. Quelque chose dans ses histoires me fait penser au Maroc. Est-ce la mer ? La simplicité des gens ? Plus il parle, plus je pense au Maroc.
Un chameau aux Îles de la Madeleine, ça survivrait ? Un essai s'impose.
On s'en va.
Elle est partie. Derrière elle, des enfants heureux, des frères et soeurs amoureux de la vie. Une soeur pleurante. Une mère sanglotante. Des amis aux coeurs brisés. Un amoureux aux cernes grandes comme un océan, noires comme la nuit, creusées comme une tombe.
Cette tombe qui nous attend tous.
Si je meurs aimé comme elle, je mourrais satisfait. Ce sont mes dernières pensées. Alors que je m'éloigne. Alors que dans mes oreilles bourdonnent encore les sanglots de la soeur et le cri étouffé de la mère; et que dans ma tête tourmentée se répète la même maudite question sans réponse : pourquoi ?
Bon voyage !
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