L'ailleurs
Quand je sors le matin, il vente. Un vent froid et repoussant. Je descends la pente vers le métro. Quelques chiens aux propriétaires insouciants ont laissé des traces par terre. La vie est déjà assez difficile comme ça. S’il faut en plus commencer sa journée ainsi. Je pense à Boris. Je chante dans ma tête « J’fais du cheval tous les matins, car j’aime l’odeur du crottin ». Ah, Boris, si tu pouvais être encore là !
Le fou du quartier me sourit bêtement et lève sa main en guise de bonjour. Je lui rends la pareille. Sourire niais et main perpendiculaire à la surface de la rue. Il y a du vent. Je n’ai pas les cheveux longs. Ce n’est pas un film. Il n’y a même pas de chevaux, de John Wayne et d’indiens méchants. Les indiens, dans ce pays, ils sont ailleurs. Dans l’alcool, le suicide, le diabète, le désarroi. John Wayne est à Ottawa. Je suis à Montréal. Je marche. Louise Harel, une politicienne gentille, aux cheveux blancs, au sourire gracieux, gît sur une pancarte indécente. Me sourit-elle ? Je ne crois pas. Mais je le prendrai, ce sourire. En guise de bonjour, de bonne journée, de va, vis et deviens. D’ailleurs, j’aimerais que tu le saches, Louise : je deviendrai. Je ne sais ce que je deviendrai. Mais je deviendrai. Sache-le, une fois pour toutes et passons à autre chose.
Coin de la rue. Dépanneur. Une femme fume devant le dépanneur. Je reçois un peu de fumée en pleines narines. Ça me lève le cœur. J’ai vécu avec un père fumeur. Dans les années 80. Les pères fumaient sous leur toit. Fumée secondaire ? Ça n’avait aucun sens. J’ai vécu là. La chambre blanche de fumée. Et ce n’était pas le calumet de la paix. Des Marlboros rouges. Ça ne me levait pas le cœur. Aucunement. Je dormais dedans. Me réveillais dedans. Mangeais dedans. Je crois que c’est l’air pur qui me levait le cœur à l’époque. Me voilà maintenant. Quelques années plus tard, plus loin, plus seul. Et la fumée me lève le cœur. Et je trouve ça con. Et la dame n’a pas le droit de fumer tout près de l’édifice. Il y a une loi. Cinquante mètres ? Quelque chose du genre. Mais les lois se font et ne s’appliquent pas tout de suite. Il faut laisser le temps au temps. Ça viendra. Je presse le pas. Une bouffée, c’est assez. Je traverse. De jeunes adolescentes attendent le bus. Une dame âgée est assise sur le banc. Elle les regarde, un petit sourire au coin de la bouche. Elle les aime. Elle les admire. Elle les envie. Un jour, ce sera mon tour. Je serai sur un banc. Et les autres parleront. Et je les envierai. Envie de dire une phrase conne. Du genre : la vie est un ascenseur. Ça finit par revenir. Ou la vie est un boomerang. Un truc de ce style. Une phrase indigeste, imbuvable, qui ne passe pas. Mais je n’en dirai rien. Je marche. Devant, il n’y a rien. Une pente descendante. Des voitures qui passent. Des pigeons qui s’envolent à mon approche. Le ciel qui me guette. Et des nuages à n’en plus finir. Et une pluie qui se prépare. Pourquoi tu ne vas pas faire un tour ailleurs ? Je veux du soleil, moi. Du soleil, des oiseaux, l’odeur de la mer. La fraîcheur méditerranéenne. Aujourd’hui, c’est ça que je veux. Tiens, j’aimerais bien que les gens soient plus lents aussi. Et où sont les crasseux chats de la rue, qui se réchauffent en bas des voitures ? Je ne les vois pas. Il y a tout juste quelques écureuils qui sautillent sur des arbres tristement chauves, après un si long hiver. Des écureuils, ça ne se balade pas dans la rue. Ça ne se lèche pas les babines. Ça ne fait rien. Ça sautille et ça disparaît. Je rouspète contre cette rigidité de la vie. Tous les matins, c’est pareil. Tous les matins, c’est la rue paisible, la pente descendante, le métro rempli de zombies qui ne se parlent pas. Départ. Arrivée. Arrivée. Départ. Je rouspète énergiquement contre cette vie que j’ai choisie. Je rouspète. Alors que le folklore chaque jour, ça me fatigue aussi. Alors que trois semaines au pays des surprises et je n’en peux plus. Je rouspète. Parce qu’on n’a jamais ce qu’on veut. Parce que le gazon du voisin est toujours plus vert. Parce que je m’ennuie des fois. Et des fois chaque fois, ça peut être souvent. Et souvent, c’est inquiétant. Mais ne vous inquiétez pas. C’est des fois quelques fois. Aujourd’hui, c’est comme ça. Demain, c’est comme d’habitude.
Je m’arrête à la pâtisserie Polonaise. Je prends une chocolatine. J’apprends à dire merci en polonais. Ça fait rire les deux caissières. Je ris aussi. Elle dit que je le prononce bien. Je prends le compliment. Je paye. L’une me souhaite une bonne semaine. L’autre lui dit quelque chose en polonais. Ah, c’est vrai. À demain, peut-être. Oui, à demain. Car j’aime les chocolatines. Car, tu ne le sais pas, Anastasia, mais ici, c’est l’Atlantique pour moi. Ici, je sens la mer. Ici, je suis ailleurs. Et ailleurs c’est toi et ta chocolatine.
On est toujours l’ailleurs de quelqu’un.
Labels: Histoires de tous les jours, Narcissisme
Je vois que je ne suis pas la seule à avoir des migraines à forcer de tourner en rond dans ma petite tête :-)
J'aime ton texte.
Littérairement parlant, tu nous balades et c'est un plaisir. Tes mots dessinent des paysages que je ne connais pas, tes mots me renvoient une vie ailleurs, et je t'envie, tant il est vrai que l'herbe est toujours + verte dans le champ d'à côté...
Et ce matin, elle était plus joyeuse la pente descendante?
Très beau texte, Onassis.
Mais fais le Parisien 2 secondes, appelle un pain au chocolat un pain au chocolat!:))))
Voisine : En doutais-tu ? :) Merci.
Sarvane : Et moi je t'envie, ma chère écrivaine publiée :)
Vertelime : Bienvenue. Oui, pas mal plus joyeuse :)
Blanche : Merci. Un pain au chocolat :). Sais-tu qu'à Casablanca, on appelle une baguette "une parisienne" (parisianna)...Oui, j'imagine que tu le sais.
N'étant jamais allée à Casa et n'ayant mangé au Maroc que le vrai pain marocain (il est tellement bon, pourquoi manger autre chose?:)), eh bien non, je ne le savais pas...
Okay Blanche...ce n'est pas si grave :). C'est le pain Marocain qu'il fallait manger effectivement.
Bon sang ce que vous êtes touchant Onassis.
"L'ailleurs", il entre en dedans.
psst: la voisine, j'ai un cadeau pour vous.
Nina : merci...Je passe le message à la voisine demain...
«On est toujours l'étranger de quelqu'un» - Pauline Julien, l'Étranger.
« On est toujours un peu l’Iroquois de quelqu’un
Que l’on soit Québécois, Breton, Nègre ou Cajun
Je vous laisse à chanter quel peut être le vôtre
On est toujours un peu l’Indigène d’un autre»
Sylvain Lelièvre, Le chanteur indigène.
Mais toi, Onassis, tu amènes dans ce sillage une nuance intéressante : l'ailleurs de quelqu'un sonne universel.
Ce qui reste difficile, selon moi, c'est de considérer (concrètement) que le «tu» est en même temps et toujours un autre «je».
Jacques : C'est en effet difficile. Mais si on y arrive, c'est LA SOLUTION à nos problèmes.