Wednesday, March 21, 2007

Les handicapés ne sont pas ceux qu'on croit

Vendredi soir. Un resto sur St-Laurent. Pas St-Laurent, centre-ville. Non. St-Laureeeennnnt. Il commence à faire froid. Une tempête ce soir. Une quinzaine de centimètres de neige. Une vraie tempête. On descend de la voiture. Pauline Marois marche en avant. Met de la monnaie dans le parcomètre. C’est K. qui l’a vue. Va-t-elle au même restaurant que nous ? Probablement. On entre. Pauline est effectivement là. On paye. Les manteaux dans le vestiaire. Le comité d’accueil est là. Je reconnais A. A. est en chaise roulante maintenant. Il était client dans le resto où j’ai travaillé pendant tout le long de mon bac. Autrefois, A. fut un homme important, heureux, un homme qui a réussi. Puis, il fit un accident. Et le voilà aujourd’hui, président de cette association qui vient en aide aux handicapés du Maroc. Oui, oui, j’avais oublié : A. est Marocain. Entre vous et moi, ça change quoi ? Il est en chaise roulante. Il trime. Et il veut aider les autres qui triment comme lui. Alors, Marocain ou Mexicain, qu’est-ce que ça peut bien changer ? On entre. Dans une des tables, un militaire en uniforme. Beaucoup de médailles. Grand. Moustachu. Souriant. Confiant. Comme seuls les militaires décorés peuvent l’être. Ses voisins ? Des gens en cravate. Des femmes maquillées jusqu’aux oreilles. Et Pauline. Ah, Pauline, si tu savais comment tu nous manques dans cette campagne électorale ! Si tu savais. Ils sont blasés, populistes ou pissou *. Je suis sûr que la femme froide, réservée et mûre que tu es, aurait pu faire une différence dans cette campagne. Je suis sûr que tu y aurais mis du piquant. C’est d’un ennui, Pauline. Mais d’un ennui. Pourtant, je sais tes lacunes. Pourtant, on sait tous que tu ne sais pas parler au peuple. Mais justement, le peuple, il a Dumont. Et les autres, ils font quoi ? Ils votent par dépit ? Pauline, je te le dis en toute sincérité. Tu nous manques dans cette campagne morose, terne, sans goût. Mais la vie est ce qu’elle est. Il faut faire avec.

Je me commande un café. Je suis debout depuis 6h 30. Et j’ai du mal à rester éveillé. Réveille-toi. La nuit est encore jeune. J’avale le café. Et je ne bois presque jamais de café. Nous parlons. Avec K. Avec F. Un vaillant avocat de Winnipeg qui s’est marié avec une Marocaine. Un gars intéressant. Un bon Jack. Il vient de rejoindre l’association. Il y a peu de temps. Il a fière allure. On discute. De tout et de rien. Puis, il file. Le devoir l’appelle. Abd. arrive. Abd. est un ancien communiste marocain. Est-on jamais un ancien communiste ? Je crois qu’on le reste un peu à vie. Sa première question quand on lui a demandé de venir au souper-levée de fonds ? Est-ce que ça va parler du Roi ? Est-ce qu’il y aura des lécheurs de cul, comme d’habitude ? Non, non, Abd. Viens. Ne t’inquiète pas.

Il avait raison de s’inquiéter. Et on s’en rendit compte très tôt. Un journaliste (je le sus plus tard) prend le micro et fait les présentations. Voilà qu’il salue Madame la consule du Maroc au Canada. Voilà qu’il salue monsieur l’ambassadeur. En fait, je crois que je vous raconte des histoires. Je ne sais si c’est la consul et l’ambassadeur, l’ambassadrice et le consul, la belle et la bête, le bête et la belle,etc… Je n’en sais rien. Je sais seulement qu’il a salué quelques Marocains représentants du Roi au Canada. Je n’en sais rien, parce que je ne veux pas le savoir. Je suis venu pour les handicapés, moi. Pas pour des niaiseux en cravates. Pas pour des maquillées comme un arbre de Noël. Je suis venu pour une cause. Maintenant, Pauline prend le micro. Elle parle sobrement et sans exagérations. Et passe le micro au prochain. On se congratule. On souligne les cinq années de l’organisation et ses accomplissements. Et on appelle le Colonel et ses médailles au micro. Je ne comprends pas au début. Puis ça clique. Enfin, on me le fait cliquer. Le ministère de la défense sponsorise l’association. Parce que, A. (le président de l’association) travaillait pour ce ministère. Et machin-chouette en tenue militaire était son boss. Voilà qu’on parle de l’armée canadienne. Voilà qu’on justifie la présence du Canada en Afghanistan. Pincez-moi quelqu’un ! Je rêve. On vient parler d’handicapés. Et on nous parle de l’Afghanistan. C’est parce que…la guerre, ça fait des handicapés. Et le Canada n’est plus en « casques bleus » en Afghanistan. C’est parce que sponsoriser les handicapés pour promouvoir la guerre, c’est pas fort. C’est parce que tout ça est dégoûtant et plein de mauvais goût. Nous rions jaune. Nous sommes ébahis devant la connerie humaine. Le consul ou ambassadeur, prend le micro. Voilà qu’il parle des musulmanes. Voilà qu’il parle du voile et de la femme du prophète. Je vais aux toilettes. Je vais pisser en pensant que ces gens sont fous au pire ou faux au mieux. Ne savent-ils pas pourquoi on est là ? Ne savent-ils pas pourquoi j’ai payé mon billet ? C’est pour les handicapés. C’est pour la vie dure qu’ils mènent. Pas pour écouter des discours débiles qui auraient tous eu un « zéro-hors sujet » dans la moindre composition écrite du secondaire trois. Je vais pisser en pensant que ce monde m’étonnera toujours. Par la connerie de ses protagonistes. Par le manque de jugement de ses acteurs.

Quand je me rassois, l’illusion est partie. Je suis déjà redevenu cynique. J’ai déjà perdu l’innocence avec laquelle je suis entré dans ce resto, comme si je rentrais dans un temple, lavé de tous mes pêchés et que je venais rencontrer le bon Dieu. C’est comme ça que je suis rentré ici. C’est comme ça que j’ai serré les mains. C’est dans cet esprit que j’ai avalé mon foutu café. Le temps de quelques discours. Le temps de quelques gaucheries. Et me voilà redescendu sur terre. Et me voilà revenu vers ce monde con, con, con. Et me voilà parmi mes semblables à manger piteusement un souper et à exprimer ma grande déception.

Reviendrai-je l’année prochaine ? Oui. Pour les handicapés. Les handicapés du corps. Parce que ceux de l’esprit sont pléthore. Et je n'ai pas de temps pour tout le monde. Je me spécialise, voyez-vous ?


pissou * : Jadis, quand les francophones du Québec étaient encore "maltraités" par les anglophones (certains me diront qu'ils le sont encore, mais ça c'est une autre histoire), ceux-ci leur criaient : Pea soup, pea soup ! Parce qu'ils étaient pauvres et mangeaient beaucoup la soupe aux pois. C'était devenu une insulte. Voilà que les francophones eux-mêmes l'ont intégré à leur langage. Dans leur bouche, ça veut plutôt dire, quelque chose comme 'lâche', 'trouillard'...


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At 21/3/07 8:49 PM , Blogger Reda said...

Un 'journaleux' marocain biensûr ?

 
At 21/3/07 10:11 PM , Blogger Onassis said...

Et comment ! Plus Marocain tu meurs...

 
At 23/3/07 1:43 PM , Anonymous Anonymous said...

Décevant mais prévisible ...Un ambassadeur, un haut militaire et un journaliste marocain. Pffffff !! Beaucoup de gens profitent de ce genre de manifestations pour passer leur message et souvent le message n’a rien à avoir avec le contexte. C’est une vérité que tu vas devoir digérer et ajouter à la liste des quelques vérités que tu admets ;-o)

 

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