Ce n'est pas joyeux mon amour

Ça commence bien. Elle avait 89 ans et hier matin, elle ne s’est pas réveillée. Elle, c’est la tante du père de mon ex. J’ai joué aux cartes chez elle. J’ai ri chez elle. J’ai mangé chez elle. Elle faisait un rôti de bœuf du tonnerre. Elle faisait des gâteaux à s’en lécher les doigts. Et je suis gourmand. Très gourmand. Elle était alerte, vivante, autonome à son âge. Je l’admirais. Je la taquinais aussi. Tante G., vous avez quel âge, là, 60 ans ? Elle me répondait, toute fière : 85 ans. 86 ans. 87 ans.

Et puis, je ne l’ai plus revue.

C’est la vie.

Et voilà qu’elle me le dit en majuscules, par ce début d’année enneigé. Ce n’est pas la vie, mon petit, c’est la mort.

Le fouet aurait été mieux.

Alors, je fais une prière avant de dormir. Et j’essaye d’imaginer son visage au ciel. Mais le ciel est noir : il fait nuit.

C’est la vie.

Alors, j’irai à l’enterrement samedi prochain. Et peut-être mettrais-je le front par terre quelques fois, à sa mémoire. Et peut-être réciterais-je quelques versets qui s’envoleront vers le ciel, colombes blanches aux ailes qui flottent, prophètes austères d’une vie nouvelle. Et sûrement des larmes feront orage sur un visage honteux d’être encore en bas.

Je n’ai plus de classe. Je ne suis plus dans la retenue. Je me lève, je sors la langue et je le dis tout haut : à bas la mort. Va voir ailleurs si nous y sommes.