La fièvre du grand écran
Je ne me rappelle plus du premier film que j’ai vu. Aussi loin que je puisse pousser ma mémoire, j’aperçois mon père, moi, une salle obscure et des dessins-animés. Je crois que ça s’appelait « Basil, détective privé ». Petite recherche sur Internet. Disney. 1986. Personnage inspiré de Sherlock Holmes. C’est ça. « Basil, détective privé ». La salle devait être celle de 7ème art à Rabat. Je ne sais quel âge j’avais. Je sais que j’ai été émerveillé, bercé, peut-être même transformé.
Ensuite, le cinéma est devenu ma passion. Non, je n’ai pas commencé à voir des Truffaut et des Godard. Non, je n’ai pas connu d’emblée Stella Adler et la méthode Actors Studio. J’aimais le cinéma comme l’aiment les mômes. J’allais voir des films de karaté, ninja, cow-boys, boxe, etc. J’allais voir tout ce qui passait dans ces chères salles de cinéma marocaines qui passaient deux films la même après-midi. À l’entracte, je m’achetais une limonade et un gâteau, si j’avais de l’argent. Sinon, je n’achetais rien. Ce n’était pas grave. Je ne faisais aucune analyse du film. J’ouvrais les yeux et me laissais aller. C’était magique.
Pour aller voir les films, je demandais de l’argent à mon père. Il me demandait : tu vas voir quoi ? Ninja 4. Parfois, il faisait une petite moue et, découragé, me tendait l’argent. Parfois, il me suggérait un autre film. Dois-je plutôt dire qu’il m’obligeait à voir un autre film ?
C’est ainsi que, par cet après-midi d’un mois d’une année dont je ne me rappelle pas, j’ai traîné mon ami M. à voir « L’empire du soleil ». Il était déçu. Nous devions aller voir Rambo. Il n’a pas voulu y aller seul. Alors, il m’a suivi.
Aujourd’hui, je cherche des informations sur « L’empire du soleil ». Il y a John Malkovich et Christian Bale. Il y a même en bas de la page de recherche, quelque part parmi les seconds rôles, Ben Stiller. Je ne connaissais aucun de ces messieurs à l’époque. D’ailleurs, je m’en foutais. Je m’en fous toujours. De ce film, je suis sorti bouleversé. Vraiment. Par l’histoire, par la photo, par la musique. Par tout.
- M., tu as aimé ?
- Bof. Rambo, ç’aurait été mieux.
- On ira le voir.
Et on est allés le voir. Et on a continué à voir les autres Bruce Lee, Client Eastwood et Schwarzenegger. Mais de temps en temps, le père mettait son véto. Et on allait voir l’autre cinéma.
Un jour, à la télé, il y avait cet autre film. Un extra-terrestre. Ses mains vertes. La lumière rouge au bout du doigt. Le vélo qui vole. Le petit qui fait semblant d’avoir la fièvre en approchant sa tête de la veilleuse. Et la fin. Et la gorge serrée. Et les larmes du petit Elliott. Et mes larmes. Et mes larmes. Et mes larmes.
Je sais. E-T, c’est 1982. L’empire du soleil, c’est 1988. Mais ma mémoire est ce qu’elle est. Et nous sommes au Maroc : Les dates n’ont aucune importance. Ça vient quand ça vient.
Plus le temps passait, plus je regardais des films. Plus je regardais des films, plus je devenais sélectif. Je regardais quand même les Bruce Willis, Stallone, Arnold, mais sans m’emporter. Sans y croire vraiment. Sans y mettre mon âme.
Il y eut bien entendu, ex-colonie française oblige, la passe française. Alain Delon versus Jean-Paul Belmondo. Tout le monde aimait Jean-Paul. J’aimais Alain. Et Jean-Paul. Les deux. J’ai dû voir tous leurs films de l’époque. Le professionnel. Et cette musique. Ah, cette musique ! (Ennio Morricone, mais je ne le savais pas à l’époque). Borsalino. Mort d’un pourri. Trois hommes à abattre. La tulipe noire. Zorro. Le cerveau. Flic ou voyou. Le marginal…
Il y eut aussi Louis De Funès, Lino Ventura, Jean Gabin. Et je regardais. Et j’absorbais. Et je riais et je pleurais. Et c’était la fête à chaque fois, à chaque image.
J’ouvre une parenthèse.
Un jour, j’ouvre un numéro du magazine Studio. Interview avec Delon. « Si je sais que je ne peux plus rendre une femme heureuse, je me tue ». « De la même manière que Dewaere ? » « Non, je ne voudrais pas vous laisser cette image de moi ».
Depuis, je n’aime plus Alain.
Parenthèse fermée.
Puis vint le temps des chefs-d’œuvre.
Le parrain. Avec un grandissime Marlon Brando, un Al Pacino très juste, un James Caan impulsivement impressionnant, un Robert Duval inoubliable. Ah, ce Marlon/Don Corleone, orange-dentier dans la bouche, faisant peur à son petit-fils, courant, tombant, mourant. Ah, cette raclée que donne James/Sonny à son beau-frère avec l’eau qui gicle de partout. Ah, les scènes de Pacino/Michael en Sicile. Ah, cette musique ! (Encore Morricone !)
Apocalypse Now. The horror. The horror. I love the smell of Napalm in the morning. Coppola qui hypothèque sa maison pour faire le film. Les gens de Hollywood qui rient de lui. Brando gros et chauve. Martin Sheen qui se tape une vraie transe devant la caméra. Et la palme d’or à Cannes, comme une baffe dans la gueule des sceptiques.
Taxi Driver. Are you talking to me? Are you talking to me? De Niro avec sa désormais mythique coupe de cheveux iroquoise à la fin du film. L’inoubliable petite Jodie Foster. Le détestable Harvey Keitel. Et cette scène où Travis/De Niro amène naïvement sa convoitée au cinéma, voir un film porno ! Le cinéma. Le vrai cinéma.
On the waterfront. Brando. Beau, jeune et majestueux. I could have been somebody, i could have been a contender. Elia Kazan. Ce grand cinéaste qui, en plein milieu de la chasse aux sorcières, a vendu des collègues. Comme quoi, on peut être grand cinéaste et crapule finie.
Raging Bull. De Niro encore. Et Joe Pesci. You fucked my wife ? You fucked my wife ? Les combats de boxe. Les kilos en trop. La belle Moriarty/Vickie. Les frères qui s’embrouillent. Le dernier combat. La Motta qui prend une raclée, sans lever le petit doigt. Exprès. Et le sang qui gicle de partout. Son œil au beurre noir. Sugar Ray qui vient d’être proclamé champion. Et La Motta qui s’approche et lui lance cette phrase « You didn’t get me down, Ray ». Et c’est pire qu’un K.O.
Et j’en passe : je ne peux pas tous les citer. Ce serait trop long.
Aujourd’hui, je regarde moins de films que ce je voudrais. Je n’ai pas le temps. Si j’avais le temps, j’en regarderais un par jour. Car, oui, il me reste tant à voir. Il me reste Kurosawa, sur qui pleuvent les éloges. Il me reste tant de Truffaut et de Godard. Il me reste le cinéma Italien de l’âge d’or. Il me reste…
Je n’aurai jamais tout ce temps.
Mais je fais ce que je peux.
Tiens, avant-hier , j’ai vu un chef-d’œuvre. Pasqualino Settebelleze (seven beauties). Lina Wertmüller. Si vous voyez ce film, vous saurez que « La vita è bella », c’est de la rigolade. De la pure rigolade. C’est tout ce que je dirais sur ce sujet.
Aujourd’hui, et je sais que c’est tellement cliché de le dire, le cinéma n’est plus ce qu’il était. Presque personne ne met ses trippes dans un film. On a l’impression que c’est fait sur commande. Pèse sur ce bouton, l’autre et l’autre. Amène quelques stars. Okay. Le film est prêt. Fais une publicité monstre. Attends l’automne pour qu’il soit oscarisable….Ce n’est plus la même chose. Ce n’est plus le jeu d’acteurs d’avant. Ce n’est plus l’émotion. C’est le cinéma pop-corn, pizza, glace au chocolat.
Enfin, j’exagère un peu. Il y a l’Europe. Lars Von Trier. De temps en temps. Almodovar. Souvent. Ozon. De temps en temps. Veber, Haneke, etc. Il y a les américains, pas très américains. Soderbergh. Une fois sur deux. Lynch. Mais on ne comprend presque jamais. Les frères Coen. Souvent aussi. Wes Anderson (allez voir The Limited Darjeeling, c’est drôle !), Innaritu (Je sais, il est Mexicain, mais ses deux derniers films ont été faits aux États-Unis…), etc. Il y a l’Asie. Wong Kar Wai. Ang Lee. Et d’autres dont j’oublie le nom. Il y a sûrement l’Afrique, mais on n’en reçoit presque pas par ici (quelques nord-africains de temps à autre).
Il y a toujours des surprises.
Mais ce n’est pas assez.
Mais je suis nostalgique. Du bon vieux temps. Du vrai cinéma. De ces jours meilleurs où aller au cinéma était une expérience presque religieuse.
Peut-être ai-je tort.
Tous les cinéphiles le savent. Le petit garçon du Cinema Paradiso, c'est nous. C'est vous. C'est moi.
Super traveling, Onassis. Le Parrain, oui. Taxi Driver, jel'avais vu en salle vers 1976 et je l'ai loué l'autre jour. Ballade dans la nuit. J'ai vu l'autre soir par hasard à la télé, c'était déjà commencé mais je n'ai pas pu me relever de mmon fauteuil, et je n'avais aucune idée de ce que c'était, j'ai vu cent ans après tout le monde Péril en la demeure. J'ai trouvé cela époustouflant. Le prochain en salle que je souhaite voir, je reste très local, c'est Continental.
Je ne suis pas une assez grande 'connaisseuse' de cinéma pour dire si les réalisateurs ne mettent plus leurs tripes dans leurs films, mais il y a 2 films récents qui m'ont émue, 'soulevée' et fait réfléchir: La Vie des autres (tout en retenue, profond, triste...) et Blood Diamond (pour l'interprétation de Di Caprio: il m'a vraiment surprise).
Qu'as-tu pensé de ces 2 films?
Jack : Un film sans fusil devrait être bon, en effet. Je n'ai toujours pas vu Péril en la demeure...
Blanche :
J'en avais parlé sur mon blogue : La vie des autres est un chef-d'oeuvre. Dans la retenue...Certainement le meilleur film que j'ai vu l'année dernière.
Blood diamond : Bon. Efficace, émouvant et, surtout, engagé. J'ai aimé...
Lars Von Trier, Tim Burton, je les adore. Le bon cinéma n'est pas mort ! C'est marrant que tu parles de ça aujourd'hui, alors que je crée une rubrique cinéma sur mon blog. Premier film pour cette cuvée2007/2008 : Le secret, de Miller, avec P. Bruel et Cécile de France ;-)
Sorry, j'avais oublié...
Sarvane : Hâte de voir ta rubrique. Pas vu "Le secret" encore...
Blanche : You don't have to be sorry...
Ah L’empire du soleil, ONassis. Je l'ai vu tellement de fois.
Oui,c'est nous.
bel hommage:)je te conseille de te pourvoir en cinema asiatique il y a de très belles trouvailles, notamment dans le cinema jap.
Naj : Toi aussi ? Ça ne m'étonne pas.
Supertimba : On veut des noms ;)