Ni ces départs, ni ces navires, ni ces voyages qui nous chavirent
Je t’ai connue sur la rue St-Catherine. Pas dans la rue. Non. Nous travaillions pour la même compagnie. On mettait nos casques sur la tête et en avant la musique. Un appel après l’autre. J’appelais pour X raison. Tu appelais pour Y raison. Puis, un jour, la compagnie a décidé de fusionner nos départements. J’étais sur René-Levesque. Tu étais sur St-Catherine. Je suis arrivé un samedi matin et je ne t’ai pas vue. On ne voit jamais les gens quand on ne les connaît pas. C’est aussi simple que ça. J’ai fait une erreur dans un des dossiers. Tu l’as rapportée à ma boss. Et c’est comme ça que je t’ai connue. Quand je t’ai appelée par ton prénom, grande fut ta surprise.
Quand je t’ai parlée la première fois, j’ai tout de suite su qu’un jour, tu serais mon amie.
Le temps a passé. On a encore déménagé. Métro Atwater. Tu arrivais le samedi matin avec La Presse. Tu me passais la section Actualités et tu commençais par la section Cinéma. Ensuite, on s’échangeait les sections, une par une. Et le temps passait plus rapidement. Un jour, j’ai su que tu faisais du théâtre. Tu as adapté un livre de ce ravi de bison. J’étais ravi de chez ravi. J’aime cet écrivain. Je l’aime beaucoup. Surtout qu’il chantait. Surtout qu’il était ingénieur. Surtout qu’il était génial. Et que le génie, on n’en trouve plus nulle part. Je t’ai tiré les vers du nez et tu m’as parlé de tes rêves. Cette fois, c’est moi qui étais surpris. Dans cette foire de coincés, parmi ces noyés du désert, voilà une artiste rêveuse, dont le cœur bat. Des vrais battements. Avec palpitations, pulsions, titillements et yeux qui clignent. Je t’ai aimée. Un amour amical. Un amour vrai. De ceux qu’on croit éternels. Mais rien n’est éternel.
Nous mangions des fois ensemble. Nous péchions souvent par vanité. Les gens, on les trouvait stupides, sans goût, drôles sans le vouloir, ignares sans le savoir. Et on se le disait. Les yeux dans les yeux. À voix basse. Le sourire jusqu’aux oreilles. On se le disait et on riait. Et c’était notre petit champ secret, notre petite bouffée d’air dans un univers trop formaté, trop rigide, trop monotone. J’ai voulu venir voir tes pièces. Tu étais gênée. Tu m’as dit que tous les billets étaient vendus. Je me suis résigné à attendre. La prochaine saison. Pour toi, je pouvais attendre.
Le temps a passé. Jour après jour. Samedi après samedi. Journal après journal. De temps en temps, on parlait de films, de livres, d’art. Tu étais mon amie. L’une des rares au travail.
Le temps a passé. Jour après jour. Samedi après samedi. Client après client. Et j’ai postulé ailleurs. J’ai eu le boulot. Et je suis parti. Sur la carte que vous m’avez tous écrite, tu avais laissé un doux message : À bientôt mon ami. Et vive l’art ! Tu étais mon amie. Alors, on a décidé de se voir autrement, de se voir ailleurs. On est allés au restaurant une première fois, une deuxième fois, une troisième fois, etc. J’ai fait le figurant dans un de tes court-métrages. On est allés au théâtre ensemble. On se voyait quand on pouvait. Et c’était chaque fois plus plaisant. Tu me parlais de tes histoires de cœur, de tes angoisses. Je te parlais des miennes. Et c’était presque pareil. Nous sommes nés le même jour. À quelques années de différence.
Un jour, on s’est dit que oui, il était temps qu’on fête notre anniversaire ensemble. Oui. Cette année. L’année de mes trente ans. Cette année. Une année-clé dans notre amitié toujours plus forte, toujours plus belle.
J’ai fini par aller te voir jouer. Première pièce. L’adaptation du bison ravi. Son univers cynique et drôle, triste et romantique, intelligent et léger à la fois. Tout était là. J'ai vu les scènes du livre défiler devant mes yeux. Et j’ai eu des frissons. C’était bien. Je t’admirais. Tu travaillais de jour. Tu répétais le soir. Quand tu prenais des vacances, c’était pour jouer. Une vraie artiste. Jusqu’au bout de tes rêves. Jusqu’au bout de tes forces.
Je suis allé te voir jouer encore une fois. Deuxième pièce. Un scénario qui sort tout droit de ta tête. Tes angoisses. Tes peurs. Tout était là. Je te voyais jouer. Je voyais tes émotions. Je voyais ton cœur au-delà de tout le reste. Je voyais ton âme. C’était bien. Avant d’entrer, j’ai jeté un coup d’œil sur le pamphlet. Dans un coin, sur une des lignes, j’ai cru rêver. Il y avait mon nom. À mon ami le poète…..J’étais aux anges. Déjà que tu me cites, c’était quelque chose. Que tu m’appelles poète, c’était vraiment beaucoup. Mais, ne pas me le dire. Le faire sans m’en dire un mot. Et si je n’étais pas venu voir la pièce ? Je ne l’aurais jamais su. La classe. La vraie classe. J’étais par terre. Je t’aimais. D’une amitié profonde.
Le temps a fait son petit bout de chemin. C’était bientôt l’anniversaire. Le nôtre. Le tien et le mien. Le mien et le tien. On allait le fêter le lendemain. J’en parlais à nos amis communs. On devait aller à un restaurant sur Duluthain. Trois jours avant le jour Jain, on était une dizaine à avoir confirmain.
Le dimanche, jour J. Je rentre au travail et je trouve ton message. Le dîner est annulé. Comme excuse, tu me disais brièvement que G. n’avait pas pu se libérer. Niaise excuse, voilà ce que je me suis dit dès que j’ai lu ce maudit message. Et puis, pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? Et pourquoi ne m’as-tu pas écrit sur mon courriel personnel ? Ça ne sentait pas bon. Ça chlinguait. Je t’ai écrit, en te demandant directement et sans y aller par six chemins, la vraie raison. Tu m’as répondu : tu n’avais pas aimé que j’invite d’autres personnes que tu ne connaissais pas, à ta soirée. Je t’ai répondu : je n’organisais pas cette soirée. Je ne me rappelais pas avoir invité qui que ce soit. Et c’était aussi ma soirée à ce que je sache. Tu ne te rappelais plus ? On est nés le même jour. À quelques années de différence.
Et c’était le vide.
Je suis rancunier. C’est mon plus grand défaut. Je n’oublie jamais. Je n’oublie pas. Quand on me dit « Dieu pardonne ». Je dis « Oui, justement, je ne suis pas Dieu ». Je suis rancunier. Et très orgueilleux. Mais la vie est courte. Et l’amitié est chère. Trop chère pour s’envoler comme une vulgaire feuille d’arbre vieillie par un automne chétif. C’est ce que je me disais ce jeudi soir en préparant mes pâtes aux champignons et poivrons, recette top-secret par ailleurs, qui a fait des envieux même au fin fond de Leningrad. C’est ce que je me disais, quand j’ai pris le téléphone et je t’ai appelée. J’ai laissé un message te demandant de me rappeler, car je voulais te voir. Pas de réponse. Le vendredi matin, je t’ai appelée du bureau. À ton bureau. Tu ne savais pas que c’était moi. Tu ne m’as pas reconnu. Ou tu as fait semblant. Je m’en fous. Je t’ai demandé de tes nouvelles. Et puis, quand est-ce qu’on se voit pour se dire les vraies affaires ? Tu m’as balbutié des banalités. Que tu étais très occupée. Que tu ne savais pas. Mon orgueil en a pris un coup. Ou mille coups. J’avais mal. Et je ne voulais que raccrocher au plus vite. Ce que je fis en t’entendant me dire, avec ta voix de comédienne, que tu m’appellerais bientôt. Bientôt. Dès que les poules seraient revenues de chez le dentiste.
J’ai failli m’évanouir au travail. S. me demanda ce que j’avais. Je ne sais ce que j’ai raconté comme connerie. Ma tête tournait. J’étais hors de moi. Les ennemis qui te donnent des coups, tu les prends, tu cries, tu pleures et ça s’en va. Les amis qui te donnent ne serait-ce qu'un coup, tu le prends et tu le gardes et un jour ça sort. Et c’est une tumeur, un coup de poing ou l’indifférence. Et c’est cette dernière la pire.
Je t’ai revue quelques semaines plus tard. Nous avions un cours ensemble. Je t’ai saluée poliment. Et la politesse est l’ennemie des amis. C’est froid et sans goût. Et c’est tout ce que j’avais sur moi. La journée est passée vite. Enfin, aussi vite qu’elle pouvait. Le temps n’y peut rien, quand l’atmosphère est lourde et les nuages triomphants. À la fin, un vague bye bye et me voilà dehors à marcher et à réfléchir. Un chanteur algérien avait dit « le cœur qui t’aime, moi je le brûle ». Ou un truc comme ça. J’ai décidé de brûler mon cœur. Et je l'ai brûlé.
Je t’ai vue ce vendredi dernier. On ne s’est pas parlé. Ce n’est pas de ta faute. Ni de la mienne. C’est notre amitié. On la croyait forte. On la croyait capable de résister à la vie et ses pièges. Elle était forte. Mais pas assez.
Je t’ai vue vendredi. Furtivement. Ne pas te parler m’a fait mal. Mais te parler poliment m’aurait fait encore plus mal. Alors, voilà. Le silence est d’or. Ou d’argent. Enfin, il y a pire.
Je te souhaite de réussir. Je te souhaite de l’art par les oreilles et par les narines. Je te souhaite des planches, des caméras, des rideaux et des applaudissements. Je te souhaite l’amour et les berceaux, et des amitiés fortes, très fortes, qui ne s’émiettent guère pour le moindre invité de plus, le moindre restaurant de trop.
Je te suivrai. De loin. De très loin. Et tu voleras sûrement. Car tu rayonnes. Malgré tout.
Quand je t’ai parlée la première fois, j’ai tout de suite su qu’un jour, tu serais mon amie.
Ce que je ne savais pas, c'est qu’un autre jour, tu ne le serais plus.
On n’oublie rien de rien. On s’habitue, c’est tout.
Photo : Composition de Belkacem Tatem
Labels: Amitié, Déceptions
J'aurais voulu écrire quelque chose d'inspirant ou d'encourageant, mais il n'y a rien qui vient, il n'y a rien à dire... Tu as su mettre des mots sur une situation que je comprends trop bien, alors, comme tu dis, le silence est d'or... Je n'écouterai plus cette chanson de la même oreille...
Cette histoire m'a touché pronfondément. Cette situation me rejoint trop. Pourquoi que c'est si difficile de dire a nos amis, aux etres chers nos vrais sentimements ou simplement de dire l'importance qu'ils ont dans notre vie? Le temps s'écoule et voila, on ne reconnait plus cet amitié qui nous avait lié. Par contre, il faut que tu saches garder une certaine ouverture...la situation peut changer si tu veux bien qu'elle change. La rancune, c'est un mécanisme de défense pour nous protèger de nos souffrances... une autre situation que je connais si bien!
Jessica : Il n'y a rien à dire comme tu dis, c'est ça, et c'est plate ! Merci.
Anonymous : J'ai essayé de changer la situation, ça n'a rien donné...
C'est triste. Et surtout incompréhensible. Les amis quand ils trahissent, c'est intolérable. Je suis comme toi, rancunière et orgueilleuse. Alors je passe à autre chose. Et tant pis si j'ai mal, mais je n'y reviens pas, je ne peux pas. Mission impossible.
j'ai peur d'être trop dure.
Finalement, l'objet de la discorde est si minuscule que c'en est ridicule,cette histoire.
L'ennemi de l'amitié,c'est l'ego.
c'est triste pour le motif futil de la dispute, les gens se retrouvent et s'éloignent rien là n'est nouveau mais quand une si belle amitié prend fin c'est pour si peu ... c'est tout simplement rageant
Je suis d'accord... si l'amitié est si forte, elle peut surmonter n'importe quoi, meme cet obstacle que nous appelons l'ego. Malheureusement ou heureusement, rien n'est facile dans cette vie et donc il faut savoir faire des choix... c'est toi qui décide le chemin de cette amitié - est-ce que tu es pret, a refaire, un jour un effort? Meme les rancuniers doivent se poser cette question...
La politesse est l'ennemie des amis... Comme tu as raison!
Parfois les autres prennent peur et soudain te rejettent. Peur de quoi? On ne sait pas. Mais s'ils pouvaient cracher le morceau...
Très beau texte, cher Onassis.
Je peux vivre cette douleur qui pèse sur ton coeur. La rancune, je connais trop bien... Que c'est bon d'ignorer l'autre quand tout au fond de notre âme ce n'est que le désir de se jetter dans ses bras qui nous habite... Effacons tout, recommencons,reculons le temps.. Quand on aime, il faut aussi laisser du temps à l'autre, pour vivre l'émotion et ensuite peut-être revenir s'asseoire ensemble pour discuter.L'amour, sous quelque forme soit elle est l'ouverture de sois et ce même dans la douleur la plus profonde! C'est là que le verbe aimer prend tout son sens, dans les moments difficles,les divergences d'opinions, les douleurs que l'on s'inflige parce qu'on se permet d'être sois.... c'est ça aimer...
La rancune nous fait croire que nous sommes protéger, mais elle nous éloigne de l'autre...
AnonymeS : Est-ce qu'on est la même personne :) ?
Sarvane : Tu me comprends alors..
Naj : Tu n'es pas trop dure. C'est ridicule ! Et ça n'en que plus frustrant!
Kenza : Tu l'as dit. Rageant et demi !
Blanche : Ah ce que j'aimerais savoir la VRAIE raison!...Merci.
Texte d'une superbe simplicité, tout comme la vie...chapeau
rien à dire sur l'histoire, ayant été confronté aussi au ridicule de la chose...ou si peut être un truc, en dépit de ton égo, tu as essayé de comprendre, de préserver...ça n'arrangera certainement rien, mais ça t'évitera le pire sentiment qui soit: La culpabilité
Le temps effacera cette petite querelle de clocher. Les vrais amis savent se retrouver en oubliant tout. Si ce n'est pas le cas, c'est que le "jeu de votre amitié" n'en valait pas la chandelle.
il y a des choses qu'on ne comprend pas, qu'on sait, qu'on sent.
tout silence n'est pas d'or, toute parole n'est pas scintillante.
j'ai trouvé le texte superbement simple...chapeau.
sur l'histoire rien à dire, je ne la connais que trop bien...ou peut-être si une chose...tu as essayé de comprendre, d'arranger les choses, ça ne servira probablement à rien mais au moins tu n'auras pas le pire sentiement qui soit : la culpabilité.
PS: j'ai laissé plus ou moins le même commentaire ce matin, mais il n'a pas été publié probablement un problème technique!!!
Fhamator : Il n'y avait pas de problèmes techniques, il fallait que je publie le commentaire, c'est tout. Je m'étais pas connecté de la journée. Désolé.
Par ailleurs, tu as raison, je ne me sentirai pas coupable : j'ai fait ce que j'ai pu...
Nina : Ça faisait longtemps !
Hajji : C'est dur à dire, mais je crois qu'effectivement, il n'en valait pas la chandelle ! (tu vois, cette fois ça a marché ;))
Fhamator : Merci pour le compliment...
ouain, d'zolée (sourire). je ne pose pas beaucoup de commentaires maintenant. me contente de lire en me taisant, ici et là.
ta plume Onasis, toujours aussi forte.
Je suis silencieuse tout le temps. Mais pas du silence qui tue les amitiés. Du silence qui se met à genou en disant "je n'ai rien à ajouter". Cette fois aussi. Mais les frissons, eux, veulent vous dire qu'il n'y a, entre les lignes, que votre coeur exposé pour me rappeler que jadis, j'ai aussi eue une amie. Comme celle là. Et que je l'ai aimée. Comme la vôtre.
Tant qu'à être ici, j'en profiterai pour vous dire, toutes ces fois où je ne dis rien, merci.
Bravo!
Je suis tombée sur votre texte par hasard. J'ai commencé à lire... et je n'ai jamais pu m'arrêté. Vous avez une très belle plume!
Intellexuelle : Je te suis aussi en silence :)
Anonyme : Merci. Un grand merci du fond du coeur !