Tout ça pour ça
CCCP. Aussi loin que je me rappelle, mon coeur battait à la vue de cet acronyme.
Le gros échiquier sentant le bois que mon père avait amené de l’URSS. La statuette trônant au beau milieu de la bibliothèque que j’avais longtemps crue faite à l’effigie d’un ancêtre. C’était Lénine. Ce bon vieux Lénine. Ou plutôt le cliché-propagande-Lénine : Chauve avec une barbichette, souriant à son prochain. Le journal que j’allais chercher chaque jour, lieutenant fidèle aux ordres paternels : Al Ittihad Al Ichtiraki (L’union communiste). Et ces noms que j’entendais, que je buvais, sans savoir de qui, de quoi il s’agissait. Mao Tsé-Tung. Castro. Guevara. Cette froideur calme que tous les sportifs venant de pays communistes avaient. Lendl. Navratilova. Kukoc. Divac. Shushunova. Je les admirais. Je les aimais. Mais quand ils battaient ces Américains, gros, forts, chewingumés et arrogants, je les vénérais. C’était comme ça. Il suffisait qu’un géant américain, aussi élégant qu’une vache en ménopause, perde contre un frêle et long blanc (de préférence communiste), pour que je sois aux anges.
Aussi loin que je me rappelle, je n’avais pas que le cœur à gauche. Le cerveau aussi. Mais je me trompais. Ce n’était pas vraiment le cerveau. Un cerveau, ça sert à réfléchir, pas à rêver de concepts.
J’ai ainsi aimé Castro sans le connaître. Un dictateur ? Vous n’avez rien compris. Vous êtes vendus. Un tueur ? Et on la fait comment, la révolution, sans tuer ? Hein ? Il ne fallait pas le critiquer. Mon cœur battait fort et mon sang ne faisait qu’un tour. C’était comme ça. Primitif et venant du cœur.
Puis vinrent les livres, les documentaires, les témoignages. Puis vint la lumière. Je m’en fous que ce soit biaisé aussi. Je m’en fous que ces livres, documents, films soient commandités par des anti-castristes, anticommunistes, capitalistes aux longues dents. Il faut mettre de l’eau dans son vin. J’ai toujours essayé d’en mettre. Autant que je pouvais. J’ai donc su pour Cienfuegos. J’ai donc su pour le Che (Kalfon disait dans sa longue biographie de celui-ci que si Fidel avait demandé au peuple cubain de se priver de nourriture pendant un mois pour mettre de côté de l’argent et sauver Ernesto de son périple bolivien, le peuple aurait obéi avec joie, tellement ils vénéraient l’Argentin). J’ai aussi vu Fidel s’accrocher au pouvoir, construire petit à petit son royaume assez proche de la dictature. Et je l’ai vomi. Dans un coin de mon cerveau, je l’ai froidement barré, biffé, effacé. Je n’ai pas craché sur sa tombe. Mais je n’ai pas versé de larmes, non plus. Je l’ai simplement enterré et j’ai tourné le dos. Et ce fut une déchirure. Une déchirure calme et logique, mais douloureuse et non sans incidence sur mes croyances, sur mes idéaux.
Dans le même coin de mon cerveau, j’ai bougé le Che d’un cran. Je le voulais intouchable, irréprochable. Il n’en est rien. Il n’y a pas d’être humain de cette trempe. Ça n’existe pas. J’ai enlevé tous les grigris. Je l’ai dépouillé de tout ce qui est superflu et irréaliste, de tout ce que j'ai (on a) imaginé, inventé, rêvé. En est sorti l’Homme avec un grand H. L’Homme de principes. L’Homme intègre. Il fut rêveur ? Romantique ? Naïf ? Peu importe. Il n’a jamais changé, jamais déplacé son objectif d’un iota. Jamais. Et c’est peut-être pour ça qu’il a crevé, un peu bêtement, un peu follement, en Bolivie.
Mais je m’éloigne du sujet. Car le sujet est autre. Autre et triste.
C’est à Trinidad que mes idéaux sont vraiment tombés. Que dis-je ? Ils se sont fracassés, brisés, réduits en mille petits morceaux hétéroclites, noyés quelque part entre la mer et la terre, entre le cerveau et le cœur, entre l’esprit et l’âme. Je les ai vus. Mes sœurs cubaines. Mes frères cubains. Et j’ai voulu les prendre dans mes bras. Qu’on pleure ensemble un coup. Qu’on sanglote. Qu’on se soulage. Qu’on se lâche.
Pourtant, ils souriaient. Pourtant ils étaient plus vivants que moi et les autres touristes, petits pantins gras et vides, un peu gagas devant un soleil dont on ne soupçonnait même plus l’existence. Mais c’était là. Quelque part dans leurs yeux, tu pouvais lire un grain de désespoir. Une petite lumière éteinte.
Alors Fidel, qu’est-ce que vous en pensez ? Ils prétextaient systématiquement la gonorrhée guinéenne ou la migraine tropicale. Alors, la révolution ? On m’offrait un verre de Rhum et en avant la salsa. Ou je ne sais quelle autre danse niaise que je ne sais danser. Parce que moi, grand maladroit aux jambes aussi souples qu’un comptable retraité, je ne danse pas. Je regarde danser. Et j’aime les regarder danser. Parce que, le grain de désespoir s’envole. Parce que, pour un moment, pour un moment seulement, ils sont heureux comme de beaux garçons naïfs. Et c’est touchant, très touchant, de voir leurs sourires se dessiner sur leurs visages un peu (trop) fatigués par l’embargo externe et l’oppression interne.
La vieille femme édentée qui me demande mon chapeau. Les maisons délabrées qui tombent en ruine. Les larges pancartes à l’effigie de Fidel dévoilant un message presque assassin « Patria o muerte ». Quelle foutue connerie. J’ai cru en ça moi ? J’ai vraiment cru en ça ? Patria o muerte. Ça ressemble étrangement à ce cher vieux slogan américain, directement tiré du discours de John F. Kennedy en 1961 : « ask not what your country can do for you—ask what you can do for your country. ». (Tu m’excuseras John, mais…ça pue la démagogie !)
Et c’est ainsi que c’est ou la patrie ou la mort, mais quand c’est la patrie c’est quand même la mort. Une mort lente, tranquille, à petit feu. Une mort qui voit, avec de la bave aux yeux, des touristes bedonnants, gros, cons aux chemises pleines de fleurs, mais libres, libres, libres.
Car à Trinidad (et j’imagine qu’ailleurs à Cuba aussi), la liberté est un luxe.
Et seuls les riches peuvent se payer un luxe.
Et les riches sont au pouvoir. Ou ne sont pas.
Dis-moi Fidel, ça a servi à quoi qu’on le foute dehors ce con de Batista ?
Dis-moi Fidel, tout ça pour ça ?
c'est bon de te relire,Onassis
Merci Naj...mais, si j'étais un prof, j'aurais dit : "peut faire mieux !"
Hehehe, mais attends Onassis. Bonne question, sauf que Batista c'était loin d'être un ange. Faut faire un tour dans les bleds perdus pour se rendre compte. Certes, ce n'est pas le Pérou (du temps où la chiasse d'oiseau valait de l'or), mais une fois tout ceci parti (si c'est le cas) je ne pense pas qu'on veuille revenir à l'ère de Batista ou encore aller vers la consommation à outrance. Bon, je te relis.
Mwah,
Loula