Friday, August 10, 2007

Pas si perles que ça !

Deux jeunes gens arrivent dans un restaurant de Rabat, capitale paisible du Maroc. Il est 21h 00. Ou presque. Ils ont faim. Il vit ailleurs. Elle a vécu ailleurs. Ils sont amis. Amis de et par les mots, amis de paroles, amis d’idées. Il revient voir son pays d’origine quand il peut et non pas quand il veut. Avec ses yeux de mi-Marocain, mi-étranger. Il aime ce pays. Il hait ce pays.
Elle vit dans ce pays. Parfois parce qu'elle pense devoir. Parfois parce qu'elle pense vouloir. Elle aime ce pays. Elle hait ce pays. Il y a toujours des raisons pour aimer. Il y a toujours des raisons pour haïr. Parfois même, ce sont les mêmes raisons.
Elle vit dans ce pays. Elle le connaît, le respire, le transpire chaque jour. Il le lit. Il le jauge. Il l’emporte chaque année. Dans des livres. Dans son cerveau. Dans sa mémoire. Par morceaux. Par bribes. Par miettes. Et les miettes ne font jamais un tout.

Il fait doux ce soir-là. Il y a de la place sur la terrasse. Ils ont faim. Ils s’assoient et attendent. Le serveur se présente. Il est jeune, souriant, débordant de gentillesse. Il met un t-shirt noir. Et noir est le fond de ses yeux. Et triste est son jeune visage. L’exilé le sait. Il le devine entre un sourire et quelques paroles. L’exilé joue la carte de l’excentricité. Elle cache (mal) sa profonde timidité. Il parle au serveur. Lui tire des paroles du nez. Et noires sont ses paroles. Il était à l’université. En lettres. Il n’est plus à l’université. Ni en lettres. Ni en chimie. Ni en droit. Il n’est plus à l’université. Pourquoi ? Demande l’excentrique. Des circonstances. Des circonstances. Et s’en va le serveur passer la commande.

L’exilé use de son imagination, invente les pires histoires et souffre à chaque nouveau scénario. Le serveur revient. L’exilé lui demande : tu es de Rabat ? Non, de Salé. Et l’exilé de l’imaginer prendre 3 bus, arriver au bout d’une ou deux heures à l’université, la panse vide, les cernes triomphantes, le gosier sec. L’exilé imagine, mais il ne sait pas. Il ne sait pas cette faim. Il ne sait pas cette fatigue. Il ne sait pas cette souffrance. L’exilé est un privilégié. La culpabilité l’enveloppe soudainement et l’empêche de respirer.

Les deux jeunes gens mangent bien. Parlent de tout et de rien. Le flash crache sa lumière aveuglante de temps en temps. Ils reverront ces photos dans deux, cinq, vingt ans et se trouveront jeunes et débiles. On est toujours jeunes et débiles sur les photos d'autrefois. Ils se voient pour la dernière fois cette année. Quand vont-ils se revoir ? Dans un an ? Dans deux, cinq, vingt ans ? Personne ne le sait. Personne. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’amis ils resteront. Car les mots sont là. Et les mots sont éternels.

Quand la facture arrive, ils payent, laissent un pourboire et s’en vont vers la sortie. L’exilé, dans une maladroite tentative d’aider le serveur – qui ne travaille à l’établissement que depuis 3 jours – déclare au gérant qu’il a eu un très bon service. Coup d’épée dans l’eau. Seau d’eau dans du sable. Ou pas. Ou pas. Ou pas. L’exilé est un grand naïf. Ou pas. Ou pas. Ou pas.

La nuit est fraîche et noire. Aussi noire que les yeux du serveur. Aussi noire que ce pays qui laisse ses jeunes périr comme de veuves vagues échouent sur le rivage, sans destin, sans lendemain, sans rien.

La nuit est fraîche et noire. Tu veux que je te raccompagne ? Non. Je veux marcher. Je veux marcher tranquillement. Humer l’air de la nuit. Pester contre mes fantômes. Marcher. Marcher. Marcher.

Une accolade. Des paroles vaines qui s’envolent avec l’air nocturne. Elle monte dans sa voiture. Un claquement de porte. Un sourire nerveux. Une marche-arrière. L’amitié ne meurt certes pas, mais elle agonise. À coups de kilomètres. À coups de continents.

Il est déjà loin. Marche-t-il ? Court-il ? Son cœur bat. Il a mal pour son pays. Il a mal pour ses frères et soeurs qui n’ont pas eu sa chance. Il a mal. Il n’a pas pitié. Il honnit la pitié, mère indigne de l’esclavage et des colonies.

Il pense. Une phrase se dessine dans sa tête. Le Maroc laisse choir ses enfants. Comme un vieil arbre débile qui laisse échapper ses feuilles au printemps. Demain l’arbre sera nu et sec. Et toutes les larmes du monde ne parviendront plus à faire fleurir ses branches.

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At 10/8/07 10:35 AM , Blogger Najlae said...

1/ Il n'y a pas de culpabilité à ressentir du fait qu'on ait eu la chance de partir ailleurs, vis-à-vis de quelqu'un d'autre qui fait du surplace dans un pays qui ne lui offre pas l'opportunité d'aller de l'avant.

2/ Ils reverront ces photos dans deux, cinq, vingt ans et se trouveront riduculement beaux. Et se sentiront cons de ne s'en être pas rendus compte à ce moment-là.

3/ L'amitié, pour moi, n'agonise pas à coup de kilomètres. There's no doubt about it.

4/ Une accolade? Hadchi koullou 3la une accolade? Allez, details plize :)

5/ :p le titre

 
At 10/8/07 11:24 AM , Anonymous Anonymous said...

Très beau!!!!

 
At 11/8/07 1:45 PM , Anonymous Anonymous said...

Et si juste malheureusement...

 
At 12/8/07 12:19 PM , Blogger Onassis said...

Naj : Eh oui, hadchi llikayne

Sam : Merci. Malheureusement, comme le dit Kennza, c'est vrai !

 
At 16/8/07 1:38 PM , Blogger Blanche said...

Que veux-tu dire quand tu parles du système d'éducation marocain: est-il trop élitiste? Trop cher? Mal adapté aux besoins du pays?

Tu ne peux pas deviner de quelles 'circonstances' il s'est agi; peut-être sont-elles extérieures au système?

 
At 17/8/07 11:24 AM , Blogger Onassis said...

Blanche : Si nous ne parlons que des études universitaires au Maroc, je dirai que ce n'est pas du tout cher. Mais le niveau n'est pas très bon + l'étudiant n'obtient aucune aide. Les amphis sont trop pleins, il n'y a pas de suivi...grosso-modo, ce n'est pas si simple de réussir ses études universitaires au Maroc. (Je ne parle pas des écoles "spécialisées", i.e : agronomie, architecture..). Quant aux circonstances, je ne peux effectivement pas deviner. Mais je sais, car je connais des cas, que l'aspect "argent" est toujours en cause. Il n'y a aucun soutien pour les étudiants. Il n'y a pas bcp de travail (fin de semaine,...comme au Canada et en France..), pas de bourse ou très peu..
Personnellement, je n'aurais jamais réussi dans ce système. C'est encore une fois, les riches qui peuvent s'en sortir, parce qu'ils vont "ailleurs" et ils payent...

 
At 18/8/07 10:30 AM , Anonymous Anonymous said...

Cette comission alimentera les discussions mais son premier but était de désarmorcer une mini crise causées par des faits anecotiques et le but est déjà atteint.

Les nombreux rapports des diverses comisisons, souvent très intéressants, ne sont mis en application que très partiellement et dans la mesure où le parti politique au pouvoir a avantage à s'en servir.

Nous pouvons certe changer les choses mais certainement pas grâce à une comission. L'attitude générale des québécois étant ce qu'elle est, on a tendance à attendre des solutions venant des autres.

Il suffit de s'affirmer, de faire preuve d'assurance et d'ouverture et faire en sorte qu'on s'intéresse à la culture locale. Cependant, tant que nous ne formerons pas un pays, les nouveaux arrivants immigreront au Canada et en Amérique. Le Québec restera toujours une variante au mieux colorée, une province.

La vraie sagesse serait de regarder ce qui s'est fait ailleurs, surtout en Europe. Les mêmes choses furent vécues là-bas.

Accent Grave

 
At 18/8/07 12:15 PM , Blogger Onassis said...

Accent grave : Je crois que vous vous êtes trompés d'article..

Je ne pense pas que regarder ce qui s'est passé en Europe soit une sagesse. En Europe, l'intégration des minorités est un flop total. Je ne parle pas de l'Angleterre, mais de la France, la Belgique, l'Italie, même les Pays-Bas maintenant. L'Europe, à mon avis, n'a rien à voir avec notre réalité et devrait être citée dans la rubrique "ce qu'il ne faut pas faire"...

 

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