El castigo de la espalda
Dans une salle de massothérapie du centre-ville de Montréal. Un lundi à neuf heures du matin.
- Bonjour monsieur O., je m’appelle Kathy.
- Bonjour.
- Veuillez me suivre s’il vous plaît.
Kathy est à la fin de la quarantaine. Un peu ronde. Un peu brune. Son accent me dit quelque chose. Kathy, hmm…
- Alors, voilà. Vous allez vous mettre sur ce « lit ». Je vais vous laisser vous mettre à l’aise. Si vous gardez vos sous-vêtements, ils risquent d’être tachés. On utilise des huiles.
- Euh. D’accord.
Elle ferme la porte. Mon cerveau travaille. Que faire ? Suis-je à l’aise de me mettre tout nu devant Kathy ? Je ne la connais ni de Hawwaâ ni d’Adam. Et si j’avais des réactions physiques à son massage ? Mon cerveau me pose plein de questions. Et si c’était Angelina Jolie qui allait te masser le dos, te serais-tu déshabillé ? Je balaye ces questions du revers de l’oreille. Ce n’est pas Angelina Jolie. C’est Kathy. Avec des si…ma décision est prise : je garderai mon caleçon.
Kathy rentre. Souriante.
- J’ai gardé mon caleçon.
- Comme vous voulez. C’est pour les huiles…
- Ok.
Tel un Panoramix qui prépare sa potion magique, Kathy prépare je ne sais quoi dans un grand seau. J’ai choisi le massage aux pierres chaudes. Quand elle met les pierres chaudes au bas de mon dos, je sens un tel bonheur, une telle extase, que j’ai presque envie de crier.
Kathy me met une serviette sur les yeux. Kathy parle. Cet accent me dit quelque chose. Kathy. Hmm…Ma curiosité n’a pas de limites.
- Dites-moi Kathy, vous êtes originaire d’où ?
- Mère Française, père Marocain. Je suis née en France.
- Je me disais bien. (sourire)
- Et vous ?
- Maroc.
- J’allais au Maroc chaque été quand j’étais jeune.
- Vos parents sont séparés ? (ai-je des préjugés ? Non. J’ai deux oncles mariés à des Européennes. L’un des deux a divorcé depuis plus qu’une dizaine d’années. L’autre ? C’est un jeune couple. Ça fait 50% de taux de divorce ça. L’échantillon ? Bof. Je m’en fous un peu).
- Non. Ma mère s’est convertie. Mon père est mort.
- Et comment ça s’est passé ? Les parents de vos parents..?
- C’est ma mère qui n’a pas été acceptée facilement. Mon père était berbère. Une femme non-berbère pour des berbères, ça ne passe pas.
- Je vois…
- Le problème, c’est que je m’appelle vraiment Kathy.
- Ce n’est pas un problème…
- Je suis musulmane vous savez. Et pratiquante…
- Oui, oui, je n’en doute pas. (C’est pas parce que je fais des massages que je ne suis pas musulmane…)
- Je suis mariée à un Marocain. Deux enfants. Il vit aux États-Unis. Nous sommes allés vivre un peu là-bas. Mais les études coûtent cher. Et ma fille va au Cégep maintenant. Ici, c’est beaucoup moins cher. Mon mari est informaticien.
- Bien…
- Vous, vous faites quoi ?
- Je travaille à temps partiel. Je suis encore aux études.
- En quoi ?
- En informatique.
- Vous devriez aller aux États-Unis. Là-bas, il y a beaucoup d’opportunités. Surtout que vous êtes encore jeune.
Kathy me masse les jambes. Elle rentre sous le caleçon pour me masser jusqu’au bout de la jambe. Je me tais.
- Mes enfants. Je fais très attention à leur éducation.
- C’est bien.
- Ils traînent avec des Algériens.
- Les Algériens et nous, c’est exactement pareil.
- Vous trouvez ?
- Oui. J’ai des amies Algériennes. Nous sommes exactement pareils.
- Ah oui ? Moi, je les aime pas. Ils sont souvent à traîner dans la rue. À faire des conneries.
Est-ce que je la mords ou je lui donne un coup de pied ? Relax, relax, tu es venu te faire masser.
- Ça dépend. Il y a plein de Marocains qui traînent aussi et qui font des conneries. Tout dépend de l’éducation.
- Oui, mais les Algériens, c’est souvent comme ça…
Je prépare ma bouche pour la mordre. Mes dents sont prêtes. Je les grince pour les préparer à la grande morsure.
- Tournez-vous monsieur, on va passer au dos.
- Ah oui. C’est pour mon dos que je suis venu en fait.
- Vous auriez dû me le dire plus tôt.
- ….
- C’est un certificat cadeau ?
- Non, je suis assuré.
- La prochaine fois, demandez un massage de dos. Demandez Kathy. Je vais vous arranger ça.
- D’accord.
- J’ai des diplômes. J’ai travaillé en France. Je suis ici juste pour dépanner. Ils ne payent pas assez.
- Oui. Je comprends.
Le massage de dos me fait trop de bien. Je ne la mordrai pas finalement. Mon cannibalisme latent en restera là. Lâche. Je suis lâche. Je le sais. Mais j’ai mal au dos. Ça se comprend.
Le reste du massage Kathy n’arrêtera pas de parler. Elle a travaillé pour des juifs. Ils sont sérieux. Pas comme nous. Ils ont le contrôle du monde. Les Américains sont gentils. Ils ne sont pas racistes. On paye moins de taxes là-bas. C’est mieux qu’ici. C’est mieux qu’ici. C’est mieux qu’ici…
Kathy me baisse légèrement le caleçon pour me masser le bas, très bas, du dos. Je suis gêné. Mais je ne dis un mot. Lâche. Je suis lâche. Mais j’ai mal au dos. Ça se comprend.
Fin du massage. 50 minutes. Pas une de plus. On peut pas être aussi folklorique pour le temps ? Tu veux pas continuer à parler Kathy (tout en me massant le dos) ? Tu veux pas continuer à creuser, alors que tu es dans le trou ? Je t’en prie, ne te gêne pas !
- Je vous laisse vous habiller, monsieur.
- D’accord. Merci.
Ça me prend cinq minutes pour retrouver mes esprits. Mon dos ! Ah, mon dos ! Si tu savais ce que j’aimerais te faire masser chaque jour. Peu importe quelle conne te masse. Je te ferai masser. Peu importe quelles bêtises mes oreilles écoutent. Je te ferai masser. Tu me fais souffrir. Tu me rends lâche. Tu me feras toujours souffrir. Je le sais. Et je dois faire avec.
Kathy me fait le tour de l’établissement. Est-ce que je veux un café. Est-ce que je veux un jus. Est-ce que je veux un journal. Non. Merci. Je dois m’en aller. Je paye. Je m’en vais. Il neige dehors. Je suis fatigué. Je suis épuisé. Le massage m’a calmé les nerfs. Les paroles de Kathy m’ont fait l’effet contraire. Est-ce que je reviendrai ? Sûrement pas. Je trouverai un autre centre de massothérapie. Il y en d’autres. Sans Kathy.
Deux semaines plus tard, les assurances me remboursent. Pas 80%. Moins. 60%. Le montant réclamé est trop élevé pour le service reçu. Notre maximum est de 95$.
Maudite Kathy. En plus tu coûtes cher.
Lâche par égoïsme ? Comme plus de la moitié des individualistes de ce monde, hélas. Mais toi au moins, tu le dis et ce n'est "que" dans un salon de massage, pour soulager un simple mal de dos. Je suis certaine qu'en choix + important, tu ne ferais preuve que d'altruisme. Mais vu de plus haut, de plus loin, cette métaphore fait froid... dans le dos :-(
Je me suis offert un massage samedi à Ouarzazate. La masseuse,une certaine Badiâa, n'a pas cessé de parler pendant toute la séance,c'était rageant!
Et vas-y que je te parle de la prostitution à Marrakech, et vas-y que je te compare Ouarzazate aux autres villes. Sans parler du fait qu'elle était convaincue que mon collègue et moi étions mariés...
Non Badiâa,je ne reviendrai pas non plus...
Sarvane : Peut-être :) Froid dans le dos ? Voilà que j'ai mal au dos maintenant :)
Najlae : mais...ton collègue et toi, vous êtes pas mariés ? C'est une certaine Badiâa qui m'en a parlé...:)
Onassis> non non,on n'est pas mariés :) voyons,c'est courant d'aller faire des massages ensemble,entre collègues :o) nespa?
Najlae : Bein oui ! Mais où avais-je la tête ??
Ah, l'histoire du string jetable, sans string jetable!:)
Je ne suis absolument pas d'accord sur ce que Kathy a dit des Berbères (le reste, je ne saurais juger, donc je m'abstiens)!
Hassan (mon premier amour) était berbère, et quand je suis allée le voir au Maroc, nous avions beau ne pas être mariés, nous avons été reçus à bras ouverts, partout, de Rabat à Marrakech, en passant par la grand-mère d'Amizmiz!!
Quelle conne, cette Kathy!:)
T'aurais dû intituler ton post : El castigo de la palabra. S'il y a un truc qui me ferait c'est que pendant le massage, le masseur ou la masseuse me raconte ses histoires.
Au fait, elle ne t'as pas offert un extra à la fin ?
Blanche : Tu m'étonnes si elle est conne..
Réda : Mais non, elle est conne pas guidoune :)