stockholm, la nuit (2)
Quand on entre dans la salle Fred Barry, il se crée tout de suite une certaine intimité avec les quatre comédiens de la pièce et l’accordéoniste. Il y a, d’abord, l’absence des planches et la proximité des comédiens. Mais aussi, mais surtout, ils se réchauffent devant nous. Ils sautillent, font des étirements, se parlent. Le spectateur se demande : Mais qu’est-ce qu’ils font ? N’auraient-ils pas pu faire ça en coulisses ? Non. Ils ne veulent pas le faire en coulisses. Et voilà qu’ils discutent à haute voix. Et voilà que le spectateur ne sait pas si la pièce a déjà commencé ou pas. Et voilà qu’ils parlent d’un party. Où vont-ils le faire ? C’est quand ta fête Fannie ? Mai ? Non, Septembre. Ah, j’ai toujours cru que c’était en Mai. Non, non, c’est en septembre. Et on entend parler de Johanna et de chaussures. Et une dernière question : Hey, les gars, on se connaît depuis combien de temps ? Puis, un jeu de lumières, les acteurs s’approchent, une citation de Boris Vian (il est plus facile de coucher ensemble que de se regarder dans les yeux) -Lien avec l’Écume des jours, dernière pièce présentée par le collectif Ikaria - et ça commence.
Un dépanneur. Une fille à la caisse. Un gars qui fait le clown. On sent un certain magnétisme entre les deux. Mais ils ne se le disent pas. Mais ils ne se parlent pas….dans les yeux.
Une cliente. Maquillée. BCBG. Elle lit une revue. Elle l’achète. Elle traîne. Et un voleur gauche. Hold-up. Il prend l’argent. Et pourquoi pas, il ramène BCBG avec lui. Et la « road-story » commence. La fille-à-la-caisse et le gars-qui-fait-le-clown décident de suivre le kidnappeur et la kidnappée. Deux voitures. Deux duos fille-garçon. Vont-ils se parler ? Vont-ils se connaître ? L’huis-clos crée-t-il un lien fort entre les personnes ?
Fannie Bellefeuille, l’auteure de la pièce, évoque bien entendu le syndrome de Stockholm. Mais ce n’est qu’un prétexte à d’autres questionnements plus profonds, plus vitaux : Qu’est-ce qui fait que dans notre société, des gens qui se connaissent depuis longtemps (la-fille et le-gars se connaissent depuis onze ans), ne se connaissent finalement pas ? Pourquoi ne se donne-t-on jamais le temps de se parler, de se confier, de se livrer ? À travers ces deux duos, elle nous le dit clairement : Ce n’est pas question de temps. Ce n’est pas question de « on ne se connaît pas depuis assez de temps ». Car oui, dans cette pièce, tout le monde a du mal à communiquer. Et c’est la porte ouverte à de belles prestations. Christine Pinard, la-fille-à-la-caisse, avec son jeu très physique, avec ses yeux d’un magnétisme heureux (deux ans de travail sur le langage corporel avec « le mouvement Camera Obscura », ça ne se perd jamais), arrive, haut la main, à se passer des mots pour nous livrer ses émotions. David Buyle, un grand comédien mince, avec une bonne bouille, joue allégrement le romantique refoulé, le wanna-be macho, l’amoureux qui n’arrive pas à trouver ses mots. Fannie Bellefeuille, bavarde kidnappée, en quête d’amour et d’attention, éternelle coupable qui s’auto-culpabilise, nous livre les répliques les plus drôles, parfois les plus sottes, mais aussi les réflexions les plus sincères, et à chacun des ses gestes, à chacun des mots qui sortent de sa bouche, on se tord de rire. Enfin, c’est à Charles-Alexandre Quesnel que revenait le rôle le plus dur. Pendant 95% de la pièce, le comédien ne lâche qu’un seul mot : tabarnak ! C’est facile, vous me dites ? Détrompez-vous ! Il est tantôt fâché, tantôt exaspéré, tantôt ému, tantôt attristé…avec un seul mot, il nous passe toute une gamme d’émotions, souvent contradictoires. Bravo ! Le comédien s’en tire très bien.
La mise en scène de Frédéric Thibaud rappelle parfois celle de Mouawad dans « incendies », surtout la scène de la fin où tout le monde s’assoit sur un banc, dans un mutisme communiquant. J’ai beaucoup aimé les scènes premier-plan, deuxième-plan et les jeux de lumières qui les accompagnaient. J’ai beaucoup aimé cette façon de nous présenter les duos de face, de profil, de dos : ce n’est pas parce que vous voyez les gens dans toutes les postures, que vous les connaissez pour autant. J’ai aussi aimé l’omniprésence physique de la musicienne : l’accordéoniste se baladait sur la scène, amenant une certaine poésie, un certain apaisement à des situations parfois tendues.
Et ça finit comme ça avait commencé : Hey, les gars, on se connaît depuis combien de temps ? Retour à la réalité…
La pièce est parfaitement réussie. Les 70/75 minutes du récit passent en toute fluidité, sans longueurs, sans faux pas, avec beaucoup d’élégance et de réalisme. À travers ses mots, Fannie évoque brièvement quelques sujets qui lui tiennent à cœur : La souveraineté (le-gars veut s’engager dans l’armée. La-fille lui répond du tac au tac qu’il va s’engager pour une armée qui n’est pas celle de son pays..). Les clichés (La kidnappée s’excuse d’avoir pris pour acquis que le kidnappeur était hétéro, ensuite, assumant – anglicisme affreux dont je n’arrive pas à me passer ! - qu’il est homosexuel, lui dit qu’elle n’en a jamais rencontré un seul auparavant et lui demande si elle peut le toucher…), etc.
S’ils font une supplémentaire, allez-y ! C’est le théâtre de demain. C’est la nouvelle génération qu’il faut encourager. Surtout quand elle est talentueuse.
Anecdotes et autres niaiseries importantes :
Fannie Bellefeuille joue présentement dans « La job », version francophone de « The office », chaque jeudi à 21h 00. (Avant l’excellent « Minuit le soir »).
Sur le pamphlet de la pièce, deuxième page. Remerciements de l’auteure. Je lis. Je remercie Daniel Bélanger, Loco Locass,….., , quelques lignes plus bas, je cligne des yeux. Je re-cligne des yeux. Je dois rêver. Mon nom est là...Prénom Nom mon ami poète….
D’abord elle m’a remercié. Ensuite, elle m’a appelé poète, qualificatif beaucoup trop grand pour mes maigres épaules. Je suis touché, ému. J’ai des papillons dans l’âme.
J’existe.
Fannie, tu n’avais pas besoin de me remercier, ta pièce, tu l’as écrite toute seule comme une grande (comme une grande artiste), et moi je n’ai rien à faire là-dedans.
À mon tour de te remercier. Timidement.
Et que l’art ne cesse de pousser même dans les terres les plus arides !
C'est intéressant, cette façon 'non théâtrale' de faire du théâtre: plus proche des spectateurs, moins hautain (ils s'échauffent devant le public...)
Le message doit passer d'autant mieux, non?
Blanche : Le message passe allégrement. On peut dire qu'ils ont tourné une contrainte (la salle est faite ainsi) en leur faveur.
C'est hyper le fonne, ça, Onassis. La pièce que tu résumes, l'amitié, et ces «niaiseries» très importantes. C'est le fonne l'énergie, l'inédit des collaborations multiples.