Monday, October 02, 2006

Verdetaze

Le ver a mal au dos. Un massage ? Avec quelles mains ? Et même s’il en avait. Un auto-massage ? Laissez-moi rire. Avec ses pattes ? Pas assez longues. Pas assez souples. Pas assez. Jamais assez. Le ver de terre se frotte à la table de cuisine. Au plancher. Au lit. Au bain. Rien n’y fait. Le ver souffre. Il se retourne. Il fait des pirouettes. Il zigzague. Il ne sait plus à quel saint se vouer. À qui demander ? Il a mal au dos. Il a mal aux pattes. Il a mal dedans. L’estime de soi en a pris un coup. Il veut se suicider. Il ne veut plus de cette vie ingrate. Pas d’horizons. Pas d’avenir. Pas de perspectives de carrière. Même pas de perspectives de se faire faire un massage. Quelle vie ! Tout ça pour ça ! Le ver a pris sa décision. Peut-être que là-haut, on lui fera un massage. Peut-être que dans cette vie ailleurs, il aura plus de chances dans la vie. On le dorlotera. Il aura des mains. Il pourra se gratter. Peut-être même écrire. Ou jouer de la guitare. Ou du piano. Ou au basket. Le ver a pris sa décision. La vie, c’est fini. Il se dirige vers le lit. Il se met en dessous des babouches de cet animal-qui-marche-debout. Et il attend. À 7h 30, le réveil sonne. Marche-debout pèse sur un bouton. La sonnerie s’arrête. À 7h 35, la sonnerie reprend de plus belle. Le ver est en train de prier. Son heure approche. Il pense à tout ce qu’il a vécu. À tous les murs sur lesquels il a rampé. À tous les délices qu’il a mangés. Aux voyages qu’il a effectués. À cette pomme pourrie où sa mère a perdu la vie, jetée dans une rivière, elle qui ne savait pas nager. Il pense à tous ces événements, l’un après l’autre. Marche-debout se lève, se frotte les cheveux, met son caleçon, son t-shirt, reste assis un moment, et se met debout. Il enfile ses babouches. Un bruit. Marche-debout n’entend rien. Mais il y eut bruit. Il y eut fin de vie aussi. Ver n’est plus. Paix à son âme. Marche-debout marche, mais ne sait pas, ne sait rien de cette tragédie qui vient d’arriver. Pour lui, la vie continue, la vie continue.

Vingt ans plus tard, dans un temple-trou, dans le sous-sol d’un palace, des milliers de vers sont réunis. Ils font face à une image. Une photo. Sur la dite photo, un ver immense, de couleur mauve, avec une couronne et un regard intense. Les vers chantent en chœur. Lèvent la tête au ciel. Ils sont en transe.

Vingt ans plus tard, on se rappelle encore de ce ver, comme le premier révolutionnaire, comme le premier qui a osé sacrifier sa vie. Pour la dignité. Pour le droit à la justice. Pour le droit à une vie décente. Pour le droit au massage. Le massage, n’est-ce pas un droit universel ? Maintenant, tous les vers se font masser. Le dos, les pattes, la tête. Maintenant, les vers se sentent enfin valorisés.

Maintenant, les vers existent. Grâce à ce Ver. Grâce à Verdetaze. Gloire à Verdetaze, le premier ver à avoir sacrifié sa vie pour ses semblables.

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