Monday, August 20, 2007

Goodbye Morocco

Samedi matin. Jour du départ. Jour de l’arrivée. Il fait chaud. Le thé goûte le soleil, la mer, la solitude, l’exil. Je ne peux rien avaler. Le cœur est saturé. Je fais mes valises. Tout est éparpillé. Comme le sont mes pensées, mes désirs et mes rêves d’enfant. J’ai envie de partir. Car là-bas, c’est chez moi. J’ai envie de rester. Car ici, c’est (presque) chez moi. J’ai envie de tout et de son contraire. Et le soleil brille dehors, superbe d’insolence, impassible à mes faméliques tiraillements, entre hier et demain, entre il y a 14 ans et dans vingt ans. Mon oncle part aussi. Direction Oncle Sam. Il fait ses valises dans l’autre chambre. Telles de pauvres mouches désorientées, nous passons d’une chambre à l’autre, de la salle de bain à la cuisine, pressés, fiévreux, engagés dans une course à la montre qui n’est point une surprise. Je n’aime pas faire mes valises à l’avance. J’aime cette hyperthermie de dernière minute. Pour lutter, pour occuper mon temps et fuir ces choses qu’on devine mais qu’on ne veut exprimer. Ma sœur répond à tous mes désirs. Donne-moi ci. Cherche-moi ça. Copie-moi les photos sur mon ordinateur. Je ne la ménage pas. Qui aime bien, ne ménage point. Mon père fume cigarette après l’autre dans l’autre chambre aveugle aux yeux ouverts devant une télé qui crache des mots dont il se fout pas mal. Deux journaux en arabe traînent par terre. Les nouvelles sont bonnes ? Il n’y a pas de nouvelles. Que du vieux.

Il est 11h 30 quand je m'apprête à partir. Mon père ne veut pas venir. Je le sais sensible. Une maigre accolade, des mots étouffés et je me retourne en direction de la porte. Une fois les valises dans la voiture, je salue mes deux oncles et je monte. Je vais conduire. 1h 15 de route pour ma mère, aller puis retour, c’est un peu trop. On met de la musique. Mika. Gnawa Diffusion. On parle. On parle. On parle. Ma sœur est en arrière penchée vers nous, l’envie de se joindre à nous en avant et former un trio de trois générations. Entre ma mère et moi, 26 ans. Entre ma sœur et moi, 14 ans. Elle pétille de jeunesse. Elle est pleine d’espoirs et de rêves. Ma fleur dorée, mon talisman, notre demain enfleuré.

Il fait chaud. Je sue à grosses gouttes d’eau. L’air de la mer m’enivre. Je fais le plein dans mes narines. Je ne sais quand je te reverrai frère océan. Alors, je te respire. Et dans ma mémoire tu vivras. Et dans mes vaines tu couleras.

Aéroport. Je cherche un chariot. Mes deux valises et mon sac à dos y embarquent. À l’entrée, une file se dessine. Les agents de sécurité, le détecteur de métal aidant, fouillent les personnes une à une. Une fois de l’autre côté, je demande à ma mère et ma sœur de m’attendre, le temps que j’aille enregistrer mes bagages. La dame prend mon passeport et me prévient tout de go : l’avion a deux heures de retard. Quand je reviens, nous nous cherchons une place dans la cafétéria. La minuscule cafétéria du terminal 3 à destination du Canada, États-Unis, Allemagne, Italie et je ne sais quel autre pays. Les places sont toutes prises. Nous attendons patiemment avant de nous jeter corps et âmes sur la première table à se libérer. J’ai faim. La serveuse se présente. Un sandwich au poulet, s’il vous plaît. Il n’y en a plus. Un sandwich au thon. Il n’y en a plus. Qu’est-ce qu’il y a ? Rien. Je suis découragé. Une bouteille d’eau ? Affirmatif. Je suis soulagé. Une bouteille d’eau pour étouffer ma famine. Bien sûr. Ce n’est pas maintenant que le Maroc va changer. C’est dans le plus beau pays du monde qu’on apprend tout ce qu’il ne faut pas faire dans le formidable monde du commerce. Comment ne pas parler aux clients. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire si on veut faire de l’argent. Ne pas commander assez de sandwiches pour la fin de semaine. Voilà un très bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Demain, dimanche, il n’y aura pas plus de sandwiches. Combien d’argent auront-ils perdu ? Combien de clients prendront l’avion avec l’étrange sensation d’avoir été dans un pays en manque d’argent, d’investissements, de travail pour les jeunes et les moins jeunes, pour les diplômés et les non diplômés, mais qui donne la non moins étrange impression de s’en foutre complètement. Comme si tout ça n’était pas important. Comme si tout ça était futile. Le monde tournera toujours. Malgré tout.

Un homme pressé surgit de nulle part, prophète de la bonne nouvelle : plus de retard pour Montréal. Il faut embarquer. Je le remercie. Il me regarde et me dit : ne la laisse pas pleurer. Je ris jaune et lui dis que non, elle ne pleurera pas. Je me retourne vers elle. Elle pleure. Il pleut des larmes chaudes sur ses douces joues. Elle pleure et c'est 10 sur l’échelle de Richter. Ma mère, mes os et mon sang, mon début et ma fin, la source de mon monde et de ses environs. Elle pleure. Je la prends dans mes bras. Ma sœur semble vouloir l’imiter. Je pousse mes bagages rapidement. Vers le gardien de sécurité. Vers ma fuite. Vers ma lâcheté. Je les embrasse une à une. Nos accolades sont chaudes et peu avares d’émotion. Comment voir son fils voler vers d’autres cieux, pour des milliers d’heures, des centaines de jours, une dizaine de mois, voire quelques années, sans souffrir, sans pleurer, sans mourir à petit feu ?

J’attends une bonne heure à la salle d’embarcation. Déjà nostalgique de l’été 2007. Déjà nostalgique d’hier. Déjà nostalgique d’il y a deux minutes. Mes deux petites cousines. Leurs rires innocents. Nos jeux ensemble. La piscine à Marrakech. Ma sœur qui bronze. Ma sœur qui sourit. La plage à Rabat. Les vagues. Une cousine sur mes épaules. L’autre sur les épaules de son père. Des vagues et des vagues. Des gorgées d’eau salée. Mon autre cousine et sa demi-sœur. Le tennis de plage. Nos rires improvisés. Les centaines de photos qu’on a prises. L'inoubliable repas à Jamaâ Elfna. Mes longues discussions avec mon oncle. La chanson de l’été qu'on n'a pas arrêté de rejouer. Et ma mère. Ma mère. Ma mère.

Voilà que j’ai froid. Voilà que je me ronge les ongles. J’ouvre mon livre et le referme de suite. Les pages sont vides. Vides de sens. Vides de vérité. Vides de ma mère, de ma sœur, de mes cousines et de leurs parents. Vides et sans goût. Au diable !

J’ai soudain envie de vacuité. Play. Forward. Play. Forward. Play. Tiesto. J’achète. Mes chagrins s’évaporent comme une vulgaire eau incolore brûlée par un impitoyable soleil.

On nous ouvre les portes. Nous marchons quelques deux-cents mètres pour atteindre l’avion. Une dernière bouffée de chaleur. De quoi rassurer mes pauvres os pour les prochains douze mois.

Quelques heures plus tard, un agent de bord légèrement ventru me réveille de mes doux cauchemars. Poulet ou poisson ? J’ouvre lentement l’œil en me demandant s’il me traite de poulet ou si je sens le poisson. Poisson, s’il vous plaît. Il me tend mon plat. J’ouvre. Du poulet.

Par terre ou dans les vastes cieux, le Maroc est là. Indétrônable maître de l’anarchie mondiale.

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At 20/8/07 12:06 PM , Blogger Loula la nomade said...

Simply beautiful!

 
At 20/8/07 1:17 PM , Anonymous Anonymous said...

Et c'est ce Maroc que nous apprécions tous.

 
At 21/8/07 9:59 AM , Blogger Onassis said...

Loula : Thx. And welcome...

Kennza : Des fois, ça nous fait rire, des fois, ça nous fait grincer les dents...

 
At 21/8/07 10:43 AM , Anonymous Anonymous said...

Eh ouais, c'est fou comment les gens de ce pays d'adaptent à tout... et surtout au pire. J'ajouterai même qu'ils le font avec zèle. ça patauge, ça patauge, c'est peut être tiède par moments mais à la longue on etouffe.

 
At 21/8/07 4:18 PM , Anonymous Anonymous said...

Ah les départs ... cet étrange déchirement entre deux destinées, si connues soient-elles. Mais il faut bien partir pour pouvoir revenir :)

 
At 22/8/07 1:59 PM , Blogger Reda said...

Trés touchant comme la plupart du temps :)

 
At 22/8/07 2:16 PM , Blogger Blanche said...

J'avais vu ton dernier post hier et j'ai attendu le bon moment pour avoir tout le temps de le lire lentement. Et je ne regrette pas!

Je ne sais pas d'où tu as décollé, mais je me suis revue à l'aéroport de Marrakech, dire au revoir à celui que j'aimais, sans savoir quand j'allais le revoir, ni où... C'était déchirant, je pense que tu sais de quoi je parle...

Malheureusement, au Maroc, beaucoup de jeunes de notre génération ont dû partir, notamment pour faire des études, mais ils restent fidèles à leur famille et à leur 'premier pays'. Ca, tu vois, c'est une chose bien au Maroc (toi qui as soulevé les aspects négatifs): la fidélité à sa famille et à ses amis d'enfance.

 
At 22/8/07 2:23 PM , Blogger Onassis said...

Daspace : tu étouffes là ?

Gen : Effectivement, décoller pour mieux atterrir. Mais, y aura-t-il atterrissage ? :)

Reda : Venant d'un merengue, ça ne peut que faire plaisir ;)

Blanche : J'ai décollé de Casablanca. Oui, je sais de quoi tu parles...La même fidélité n'existerait pas ailleurs ?

 
At 22/8/07 2:46 PM , Blogger Blanche said...

Je sais pas encore... Faut que je réfléchisse. Je te tiens au courant:)

 
At 22/8/07 2:48 PM , Blogger Onassis said...

Blanche : D'acc...j'attends :)

 

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