Thursday, October 19, 2006

Futilités Espagnoles d'un autre siècle

C’était un soir d’orage. La pluie régnait sur le ciel, mère de ses nuages, maîtresse de ses fausses promesses. Je m’étais promis de ne pas sortir. Insomnie ou pas. Ennui ou pas. Envie ou pas. Je devais rester dans cet appartement, que je louais avec quatre autres étudiants. Premier refuge : la télé. Burt Reynolds faisait le macho dans une série des années quatre-vingt. Burt Reynolds parlant espagnol. Ce n’est pas rien. Toute une chinoiserie. J’ai zappé. Un gitan jouait de la guitare. Une gitane dansait. De l’art divin. Essayez de plonger dans le regard d’un gitan, deux minutes. Deux petites minutes. Vous verrez la souffrance. Le désarroi. La désinvolture. Mais surtout le courage. Le courage d’être soi-même. Le courage d’accomplir sa destinée. Même si elle n’a souvent aucun goût. Le gitan jouait. La sueur coulait doucement sur ses cheveux longs et raides. La gitane dansait. Un beau duel, dont tout le monde sort gagnant. Une niaise publicité arrêta mon trip. J’étais parti en pèlerinage. J’étais ailleurs. J’étais un artiste. J’étais un gitan. J’étais enfin un gitan. J’ai zappé. Ça parlait de foot. Le Real Madrid. Le Barça. Une polémique. Un arbitre qui donne son avis. C’est pas avec ça que vous allez m’empêcher de sortir, les vieux. Il faut m’aider. Il faut me donner du matériel. J’ai zappé. Karaté Kid. En espagnol. Ah, ça, c’est du matériel pour insomniaques. Un bon film d’adolescents, par une soirée pluvieuse et grise, dans une Grenade aux infinies possibilités, quoi de mieux ? Daniel Larusso tombait amoureux de la belle Ali. Mr Miyagi jouait au sage aux yeux bridés. L’Américain blond s’énervait et voulait tuer Daniel et le reste du monde. J’aimais ce scénario primaire, j’aimais ce film facile à l’américaine. J’avais vu le film beaucoup plus jeune avec mon père, dans un cinéma à Rabat. Il y avait deux films. À l’entracte, j’avais eu droit à une boisson gazeuse et un gâteau crémeux. D’autres temps, d’autres plaisirs. Me voici, dix ans plus tard, insomniaque blasé, jeune vieux, night-clubbeur fini. Me voici, dix ans plus tard, devant une télé espagnole, à deux-heures du matin, en train de zapper de poste en poste, à la recherche du temps perdu. À la recherche de la perte du temps. Le film achevait. Daniel se mettait sur une jambe. Ali pleurait. Daniel frappait. Il avait gagné. Le blond avait perdu. La musique manipulatrice, les valeurs héroïques et le sourire blanc et brillant d’Ali/Elizabeth Shue avaient vite fait en sorte que tout spectateur mâle, se reconnaisse en Daniel. Daniel LaRusso. Quel homme ce Daniel ! Appris le karaté en quelques semaines. Séduit Ali en deux regards. Battu le méchant lors d’un match héroïque. Quel homme ce Daniel ! J’aurais voulu être Daniel. J’aurais voulu. Mais voilà. Le film est fini. Il est trois heures du matin. Je suis encore debout. J’ai les yeux grands ouverts. Et il n’y a plus rien à faire. Je n’ai pas le moindre livre. Je ne l’aurais pas lu de toutes les manières. Je faisais la grève des livres à ce moment précis de ma vie. Je faisais la grève de la vie. Je me suis levé et me suis ouvert une bière. Puis une deuxième. Puis un verre de Johnnie Walker. Il n’y avait pas de glaçons. Qu’à cela ne tienne, il y a toujours le bouchon de la bouteille, et la technique du boire-au-bouchon. Des shooters. Des shooters. Je me suis dirigé vers ma chambre. Et le plus naturellement du monde, je me suis changé pour sortir. Oubliez les promesses faites quand j’étais encore sobre. Je les avais oubliées moi-même. Je n’étais plus au même ciel. J’étais ailleurs. Je suis sorti à trois-heures et demi du matin. Heure où les discothèques à Grenade et ailleurs en Espagne commencent à se remplir. Je marchais droit. La pluie s’était arrêtée. Un chien errant me suivit. J’ai eu peur. Je n’aime pas les chiens. Je ne les déteste pas. Mais je ne les aime pas. Surtout quand ils sont errants. D’où vient-il ? A-t-il la galle ? La rage ? Va-t-il me mordre ? Se cherche-t-il seulement un maître ? Ces questions existentielles bouillonnaient dans ma tête, quand je suis arrivé à l’avenida Pedro Antonio. Allons jouer une partie de billard à la Cabana Tio Juan. Je suis entré et j’ai commandé un verre de whisky-cola. La table était vide. Personne ne jouait. J’ai mis les 200 pesetas. Et j’ai commencé à jouer seul. Quand Raffa surgit. Raffa est un gars dont je ne connais que le prénom. Il ne parle jamais. Il sourit. Il baragouine des choses. Mais ce n’est jamais clair. Il jouait bien au billard. Et venait toujours accompagné d’une fille différente. Leur parlait-il ? Je ne sais pas. Raffa ne parlait donc pas. C’est pourquoi, je m’entendais bien avec lui. Nous jouâmes trois parties. Je n’en gagnai qu’une. J’en étais déjà à mon quatrième verre depuis mon arrivée. Et je visais de plus en plus mal. J’ai décidé d’arrêter et de changer de coin. Je hochai la tête vers Raffa. Il comprit et me rendit la pareille. À la prochaine, disaient mes yeux. À la prochaine disaient les siens. Au Delphos, je me suis commandé un autre verre. Le propriétaire du bar, un vieux de quarante ans, travaillait ce jour-là. Je n’aimais pas ce type. Il était morose. Il ne souriait pas. S’habillait mal. N’avait aucune classe. Aucun charme. J’étais méchant. Je suis méchant. Je ne l’aimais pas. J’ai commencé à faire le con. Dès qu’il se retournait, je lui jetais des graines de tournesol sur le dos. Le pauvre n’osait pas m’en parler. Il le disait à D., une jeune serveuse avec qui je m’étais lié d’amitié. D. me le disait toute souriante, ce qui n’avait pas l’effet escompté sur moi. Je continuai de plus belle. J’ai dû prendre trois verres de whisky-cola, deux shooters de B52 au Delphos et lancé des centaines de graines de tournesol sur le dos du malheureux propriétaire. J’avais assez fait le guignol comme ça. Je m’éclipsai. Sur mon chemin vers Granada 10, accompagné d’un énième verre, j’ai croisé M. M. et moi, nous embrassions à chaque fois qu’on se voyait. Des fois, je dormais chez elle, des fois non. Elle était fâchée avec moi depuis quelques temps. Comment ai-je pu sortir avec S. ? Et devant elle, en plus ? Avais-je perdu la tête ? Tout ça me faisait rire. M. refusa de m’embrasser. Je riais. Je la pris dans mes bras et lui racontait des histoires. Je citai des écrivains dont j’avais oublié le nom. Je chantai des chansons insipides mais bien rythmées. Sous le regard moqueur de M. Qui ne buvait jamais. M. ne buvait jamais. Le spectacle de ma soûlographie la répugnait. Et la faisait rire en même temps. Je l’embrassai à l’entrée de Granada 10. Et lui souhaitai une bonne soirée. À l’entrée, on me fit payer. Je ne payais jamais. Mais ce soir, c’était une soirée spéciale. Je payais. Non sans montrer mon profond mécontentement au videur. Je rentrai. Les lumières m’agressèrent le cerveau. La musique Américaine me flingua les tympans. Je me commandai un autre verre. J’aimais cette discothèque. Son chaos poétique m’enchantait. Le vice y régnait discrètement. Je connaissais à peu près tout le monde. De visage. Je connaissais ceux qui se droguaient de temps en temps. Ceux qui étaient accros. Ceux qui s’échangeaient les vêtements. Les homosexuels refoulés et ceux assumés. Les séropositifs. Les dépressifs. Les alcooliques. Les couples qui se trompaient. Nous étions une grande famille, dont les membres ne se parlaient presque pas. Que savaient-ils de moi ? Je n’en sais rien. Je m’en foutais d’ailleurs. La liberté. La légèreté. La jouissance. Ces mots, ces valeurs, ces états d’esprit et d’âme m’intéressaient plus qu'autre chose. Le reste était superflu. Le reste n’avait aucune importance. Le reste n’existait pas.

To be continued.Maybe.Maybe not.

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At 20/10/06 6:31 PM , Blogger Nina louVe said...

Mhuuum, du plaisir et du bonheur à vous lire Onassis.

 
At 21/10/06 2:25 PM , Blogger Onassis said...

Nina : BOF !

 
At 21/10/06 2:48 PM , Anonymous Anonymous said...

un vieux de quarante ans !!!! encore ivre je pense .Bien que tu bois pas pendant le ramadan
Bonne fête

 
At 21/10/06 3:10 PM , Blogger Onassis said...

On peut être vieux à vingt ans..

 
At 21/10/06 11:39 PM , Blogger Jack said...

Je suis en retard dans mes lectures de O. et en plus, en plusse, je dois faire des allers-retours, des arrêts-stop. Dans cette jungle des Majuscules. Je reviendrai donc pour me surprendre chez-vous car je n'ai fait qu'une saucette dans le Oh! Carnaval! Mardi Gras! De la zézique qui «flingue les tympans»! Bien dit!

En attendant, bon «Jour de l'An» lundi, je crois! Tu mérites les meilleurs gâteaux de la Fête.

 
At 16/6/08 11:36 AM , Anonymous Anonymous said...

Salut,
Se sont vraiment des momments innoubliables la cabaña tio juan le delphos la lla est surtout Granada 10. on a vraiment galléré au pedro antonio. Mais on étaient trop jeunes, pour moi cela fait 12 ans. j'avais les mêmes habitudes que vous franchement les mêmes. et si je me reveille le matin je me dirige vers "el centro de lenguas modernas".....

 

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