Demain, il fera 19 degrés
Il claque la porte. Et la porte claque plusieurs fois. Le vide amplifie le son du vide. Il s’avance. Chambre morte. Caleçons déserteurs qui tâtent du sol. Garfield n’est plus. Garfield, ce vieux meuble à tiroirs, farceur et peu hâbleur. Il s’est envolé et dire que ce matin, il ne lui souhaita même pas bonne chance. Il s’avance. La cuisine est meurtrière. Elle est de mauvaise humeur. Amputée du ventre. Son milieu n’est plus. Elle est deux, trois cuisines. Elle est l’anarchie. Elle le regarde durement. Ne reste que son courage. Ne reste que sa dignité. Ne reste que son drapeau rouge du Che, porteur d’espoir et de volonté. Il s’avance. Chambre d’amis. Chambre qu’il n’offrira même pas à un ennemi. Des pneus quatre-saisons. Un vélo sans ambition. Aux roues brisées. Il s’avance. Il cherche dans les cartons. Il cherche son passé, car son avenir, il ne sait plus. Il cherche. Et trouve. Des photos. Le Maroc. L’Espagne. La France. Montréal à ses débuts. Il y a huit ans. Il y a 12 ans. Il y a mille ans. Le visage angélique et chétif. Le regard innocent. Les cheveux cry-baby. Les photos. La mémoire du papier. Il n’avance plus. Le divan est son refuge. Il les passe une après l’autre, pressé, fiévreux, boulimique. Des kilos en moins, des rêves en plus, des déceptions en moins, des avenirs sur les épaules. Il se regarde et ne se reconnaît presque pas. Il les regarde et ne les reconnaît presque pas. Eux, ses amis, ses compagnons, ses connaissances, ses ennemis, ses ennemies, ces femmes qui firent un bout de chemin avec lui, ces personnes qu’il perdit de vue, parfois à cause de la vie, parfois grâce à la vie. Parfois à cause de la vie, parfois grâce à la vie. Il sourit. Il fronce les sourcils. Il regarde attentivement. Il passe hâtivement. Il les pose sur la table. Ce n’est pas une table. La table s’est envolée. C’est un morceau de bois. Couleur crème de brocoli. Il pose ses pieds dessus. Il allume la télé. Demain, il fera 19 degrés. Après-demain, il fera froid. Il sourit. Demain existe. La télé lui donne la certitude que demain, il sera. Il prend un oreiller et s’étend sur le divan. Le soleil se faufile par les deux fenêtres. Il met les nouvelles. Il choisit soigneusement un poste qu’il déteste, des nouvelles mièvres d’accidents au coin de la rue. Il se met sur le pilote automatique et se plait à se détester. Il sourit. Il aime les contrastes. Il aime être con et en rire. Il aime se détester et se faire mal. Il aime. Il déteste. Il aime. Il déteste. C’est un sentimental. C’est un rêveur. C’est un avare-de-sentiments. C’est un macho. C’est un réaliste fini. C’est un bouffon gris. C’est un-dormeur-sur-le-divan-un-dimanche-après-midi.
Il se réveille. Il est l’heure. L’heure de partir. Car demain, il fera 19 degrés.
Vroom-vroom-vroom. Il part. Les photos restent sur la table, qui n’est pas une table. La cuisine reste avec son drapeau rouge. Les caleçons restent par terre. Vroom-vroom-vroom. Tout reste derrière. Tout est devant.
J'aime beaucoup ta façon d'écrire, cette description d'états d'âme. Tu décortiques de l'intérieur. C'est le compliment que m'a fait mon éditrice quand elle m'a lue la première fois. Si elle te lisait, elle m'a dit qu'elle adorait cela. Il faudrait que je lui dise de passer te lire. Pour le plaisir. Même si ce que tu écris n'est pas forcément joyeux. Mais Dieu que c'est bien exprimé !
Merci Isabelle. Tes compliments sont très appréciés.
J'avoue que je ne fais pas dans le joyeux. Mais que veux-tu ? J'imagine que c'est une nature...
Rythme saccadé... États d'âme exposés... Malgré le ton, ton écriture est vraiment sympa.
Mais quand même, quel beau texte!
Le drapeau rouge, c'est crissement bien pensé. Mais quand même, ramasse-toi un peu!
La façon dont le narrateur décrit le dépouillement, son nouveau vide, me plaît tellement. C'est beau ce triste. Un triste insolent. Et fort ce deuil qui n'a pas de prénom. Fort et plein d'images. On y devine une absence soudaine qui n'a pas besoin d'être précisée.
Je l'ai lu pour la première fois hier. Je vous avoue franchement que je préfère les livres. On peut les traîner avec soi au soleil ou devant l'âtre quand il fait frais. J'aime leur odeur, leur poussière. Les tenir -pour vrai- me procure plus, beaucoup plus de plaisir que de m'asseoir droite devant un écran cathodique, plat, plasma. Je l'ai lu pour la première fois hier... C'était le début la fin du jour. Si votre histoire avait tenue dans un livre, elle aurait visité ma forêt puis se serait ouverte dans mes mains.
M'enfin... je m'attache sincèrement à ce petit réseau de blogueurs dont vous faites partie.
Me voilà encore à vous relire.
Merci à Laure et à Jacques. Vous êtes un beau public. Pas complaisant pour deux sous. Et ça, ce n'est pas rien !
Ma chère Nina, je préfère les livres aussi. Les livres nous emportent dans une autre dimension, les livres nous bercent au bord de nos rêves, les livres nous aiment inconditionnellement, et nous suivent partout, partout. Les livres, je ne saurai vivre sans.
Malheureusement, un manque affreux de talent fait en sorte que je ne peux mettre mes phrases que sur un ordinateur. C'est bref et simple. Brel avait dit un jour que pour écrire un livre, il faudrait qu'il ait un bras cassé, qu'une jambe lui fasse mal, alors que lui, ça allait bien. J'aime cette idée. Il avait besoin de bouger. Il écrivait, alors, des petits vers (ô que poétiques!) et en faisait des chansons (ce qu'il appelait un art mineur). Son idée est belle. Quoique tintée d'un certain manque de courage. Que je partage peut-être.
Merci Nina de suivre mes écrits. Je suis les tiens aussi. Et je dois avouer qu'ils ont une certaine fraîcheur, un certain côté inventif, qui me laisse parfois gaga et jaloux devant tant de talent.
QU'est-ce ce pseudo manque de talent ? Onassis... Vous en êtes rempli. Lisez Saravane qui suggère aussi l'édition. Nous sommes deux, na!
Oh, je crains de manquer de matériel et de substance pour me faire éditer. Ce n'est pas de la fausse modestie, c'est du réalisme.
Néanmoins, je suis très touché.
Alors, du matériel avec le temps il y en aura plus. (sourires) Pour l'instant, je prends plaisir à vous lire sans les mains.
Tu pourrais commencer par écrire des nouvelles ? 5 pages pour démarrer, je suis certaine que tu le pourrais...
Isabelle, Nina, merci pour vos encouragements. C'est très "valorisant". Je dois en ce moment finir ma maîtrise. Ensuite, je vous promets d'essayer. On verra si j'ai le talent :)