Tuesday, August 08, 2006

L'oiseau


Vous êtes-vous déjà réveillés un jour trop tôt, à cause d’un chant d’oiseau ? Moi, oui. Ça m’est déjà arrivé. Surtout au Maroc. Dormant au bord d’une fenêtre ouverte, je me suis réveillé moult fois frustré par un oiseau insolant, que je jugeais trop matinal et trop bruyant. L’oiseau, un lendemain d’une bonne cuite, est votre pire ennemi. Il vous réveille, à petits cui-cui, et bonjour la migraine. Vous prenez deux aspirines. Vous buvez de l’eau. Vous essayez de vous rendormir. Mais il n’en sera rien. La même nuit, avant de dormir, vous fermez les fenêtres et vous vous couchez. Vous vous réveillez à 3h du matin, suffoquant de chaleur, et vous les rouvrez machinalement, oubliant votre mésaventure de la veille. Et rebelote. Ah, ces oiseaux, qu’est-ce que je les ai détestés. Mais voilà qu’on me raconte cette histoire et je change d’avis. Voilà que l’oiseau a une autre dimension. Jugez-en vous-même.

B. est Algérienne. Sa nièce est mariée à un Palestinien. Ils vivent dans les territoires occupés. Ils ont un fils. Appelons-le W. W. a entendu parler de la mort dès son jeune âge. W. ne pose d’ailleurs plus de questions. Il se tait et regarde ce monde. Il entend les pleurs, les cris, les lamentations. Il voit de ses yeux d’enfant ce que vous et moi, de nos yeux d’adultes, ne verrons probablement jamais. W. vient passer l’été en Algérie. W. adore l’Algérie. Il peut jouer dans la rue. Il peut côtoyer des enfants souriants, joueurs, dynamiques. W. adore l’Algérie. Il peut marcher dans la rue sans entendre le bruit des tirs. Il a des tantes, des cousins, des cousines. Il joue au foot dans la rue, il saute, il tombe, il mange, tout ça dans la joie. Tout ça en vivant. W. a tout de même une activité préférée. W. monte au toit et s’assoit pendant des heures. Devinez ce qu’il fait ! Il regarde l’horizon ? Il pense à sa Palestine occupée ? Il est amoureux d’une Palestinienne qui lui manque, alors il passe son temps à la rêver ? Non. W. regarde les oiseaux. Il ne les regarde pas comme vous et moi. Nous sommes tellement habitués qu’on ne les regarde plus, on les voit. W. regarde les oiseaux. Parce que chez lui, là-bas, dans les territoires occupés, il n’a jamais vu d’oiseaux. Ou peut-être dans les manuels scolaires. Mais jamais, jamais de sa courte vie, W. n’a vu un oiseau poser ses maigres pâtes sur un toit et couicouiner paisiblement, tout en ramassant de temps à autre une maigre graine de pain traînant par terre. W. est, donc, hébété devant cette poétique bête que la nature nous a offerte, devant sa légèreté, son chant porteur d’espoir, son bec pointu, ses pâtes triangulaires. W. reste là des heures. L’oiseau atterrit. Marche. Becquette. Fait demi-tour. S’envole. Et vient un autre. Et s’envole. Et vient un autre. W. aimerait peut-être s’envoler aussi. Ou bien il aimerait être un oiseau et vivre librement. Ou bien même aimerait-il plutôt en attraper un et le ramener chez lui ? Faire une expérience ? Voir si l’oiseau sera neutre dans le conflit ? S’il sentira la souffrance des Palestiniens ? S’il sera le premier oiseau kamikaze de l’histoire ? Oui, il prendra quelques graines de pain dans le bec et ira les jeter sur Haïfa. Peut-être qu’Israël va alors rappliquer. Quelques avions de guerre, quelques tanks, quelques roquettes. Plusieurs morts suivront. « Ils avaient dressé l’oiseau pour venir nous bombarder. Le dresseur habitait dans le quartier. Nous étions obligés de raser cette portion de la ville. Nous ne faisons que nous défendre. » Plusieurs morts suivront. Est-ce à ça que W. pense ? Je ne le sais pas. Personne ne le sait. W. n’est pas encore arrivé à cet âge douteux où on verbalise nos pensées. Il est encore dans cet âge poétique, innocent et rêveur, où on se tait et on laisse nos yeux, nos sourires, parler pour nous.


Et pourtant. Pourtant il n’avait jamais vu d’oiseau avant…


Maintenant, j’aime les oiseaux.

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