J'aurais voulu être un artiste
C'était au coin de René-Levesque et Saint-Laurent. 10$ l'entrée. 20$ si vous le souhaitez. Tous les profits vont à la croix-rouge. Il y avait une longue file. Il y avait Radio-Canada. Il y avait ce chanteur que je ne connaissais pas. Patrick Watson. Belle voix. Quand il vous dit "Beyrouth" avec son accent anglais, vous vibrez. Je vibrais. Et il y avait Lhasa. Lhasa De Sela. Yeux bridées. Simple. Attachante. Je la croise devant le bar. Elle s'en allait fumer. "Gracias por haber hecho esto", que je lui lance. "De nada" qu'elle me répond. Souriante. Simple. C. était avec moi. Il la connaissait vaguement. J'ai ses deux albums. "C'est une artiste, C., Pas une star". C. rit de bon coeur. C. aime ce genre de réflexions. C. aime les artistes. D'où son coup de coeur pour Brel quand je le lui avais fait découvrir. C. aime les interprètes. C. a adoré Lhasa ce soir-là. Pourtant, elle n'a pas beaucoup chanté. Mais quand elle l'a fait. C'était comme toujours. Avec du coeur. Intense. D'une belle intensité. M. et A. étaient là aussi. Deux Libanais. Lhasa parle. Elle va chanter du Fairouz. "Iitini Nnaya wa ghanni". Il n'a pas fallu plus que deux minutes, avant que A. pleure. Il lui pleuvait des larmes. Je vibre aussi. Je ne suis pas Libanais. Mais Fairouz est une diva dans le monde arabe. Avec quelques chansons patriotiques qui vous réveilleraient un mort. "Tu sais, Fairouz chez nous, c'est comme le drapeau" qu'il me lance. Non, je ne sais pas. Mais je comprends. J'imagine. Surtout maintenant. Avec ce qui arrive au Liban. C'est tout à fait normal pour un Libanais de pleurer, alors que Lhasa, hispanophone, francophone, anglophone mais pas arabophone pour deux sous vous chante du Fairouz en arabe. Et pas de n'importe quelle manière. Elle chante avec du coeur, avec authenticité. Comme si c'était elle qui avait écrit ce beau poème de Gibran Khalil Gibran. J'ai vibré. C. a vibré. Tout le monde a vibré.
Le concert bénéfice se termine dans la fraternité. On nous annonce qu'on a ramassé au delà de 10 000 $. Une goutte au milieu d'un océan. Des routes, des maisons, des infrastructures détruites. Et surtout des morts. Des enfants qui ne verront jamais l'âge adulte. Des familles déchirées. Mais ce n'est pas le 10 000$ qui importe ici. C'est la retransmission du concert à Beyrouth. C'est la fraternité au delà des frontières. C'est le geste spontané d'artistes qui méritent leur titre. Ce n'est, à mon avis, que là que cette chanson bien connue, trouve chez moi un sens. Ce n'est que là que j'ai envie de chanter : J'aurais voulu être un artiste. Pour changer le monde...
Très beau!
Et tu as tout repaginé? C'est réussi. A+
Oui. Un petit changement de temps en temps, ça ne fait de mal à personne.
«Lhasa, hispanophone, francophone, anglophone mais pas arabophone pour deux sous...»
Mais au fait, Onassis, le grand'père de Lhasa est Libanais.
Oui, je sais, mais ce n'est pas pour autant qu'elle parle arabe. Il l'a même dit, on lui a dicté phonétiquement comment chanter la chanson de Fairuz et expliqué ce que ça voulait dire. Elle ne parle pas arabe...
Tu m'excuseras (je suis un peu rond), ELLE l'a même dit...Il ne faut pas écrire quand on est rond..enfin, il faut demander à Hemingway et beaudelaire comment ils faisaient..