Monday, August 14, 2006

L'homme le plus complet du vingtième siècle

Sur la rue Sanguinet, par un bel après-midi d’été, une fille snob à souhait, tirée à cinq épingles, parfumée et maquillée, maquillée et parfumée, se dandine un sac rose à la main. Jusqu’ici, rien d’anormal. Une scène tout à fait anodine. La banalité. Sur le sac rose, une image. Un portrait. Qui cela peut-il bien être ? Je suis en vélo. Les roues tournent et le portrait se fait plus clair. C’est Ernesto Guevara, dit Che. J’ai mal au cœur.

Dans un pub branché à Rabat, dont le nom évoque Cuba et sa Havane. Des jeunes dansent. Des jeunes boivent. Des jeunes mangent et rient. L’alcool coule à flot. Le patron sourit à pleines dents derrière le comptoir. Ils consomment, à moi la grosse somme. Je souris un sourire de touriste. Je bois et je mange aussi. Je danse épisodiquement. Je me dirige vers la salle de bain. Le chanteur Américain du bar, un Charles Brown à la noix de coco, dîne entre deux chansons avec une fille qui ne semble pas faire dans la danse classique. Je le juge tout de suite, me basant sur ma pauvre imagination et quelques films de série B. Il doit devoir de l’argent à quelques mafieux de deuxième degré. Il se terre au Maroc. Loin des gros bras. Passons…Juste au dessus de leurs deux têtes, un grand cadre. Un portrait. Un homme au sourire charmeur fume un gros cigare Cubain. Ernesto Che Guevara. Je dessaoule.

J’ai lu sa biographie. J’ai lu des articles sur sa vie. J’ai lu quelques uns de ses écrits. « L’homme le plus complet du vingtième siècle » disait Sartre. J’ai admiré l’homme qu’il fut. Son courage. Son dévouement à sa cause, ses convictions chevaleresques. Un Homme comme il ne s’en fait qu’une fois par siècle. Et des ignares accrochent sa photo n’importe où, n’importe comment. Certains ne connaissent même pas son identité. Le prennent pour Nelson Mandela, Bob Marley ou Fidel Castro. Un prof universitaire qui encourageait ses étudiants à lire des livres - ce qui est la plus belle et subtile façon de se faire passer pour un intello – me dit un jour, voyant le t-shirt que m’avait offert K. en revenant de Cuba : Ah, Che ! Il est Cubain, c’est ça ?! Était-il obligé de savoir ? Non. Il aurait pu se la fermer par contre. Et que faisais-tu avec un t-shirt du Che, toi qui critiques justement ces gens-là ? Moi, je le connais. Je mérite de le mettre, le t-shirt…

On brandit sa photo partout dans le monde. Dans chaque manifestation alter mondialiste. Chez des islamistes qui osent le comparer à l’infâme Oussama. Même le jeune Montréalais juif qui partait faire la guerre au Liban la dernière semaine, et qu’on osa, et qu’on eut l’indécence et le mauvais goût de présenter comme un héros aux téléspectateurs de notre chère télévision Canadienne publique, dite neutre et objective, même lui, portait un t-shirt du Che.

Che aurait-il aimé cette surexploitation de son image ? Aurait-il aimé se savoir vendu à coups de dollars Américains dans des villes de Cuba et d’ailleurs à des gringos qui ne le connaissent même pas, qui ont été normalement programmés par leurs propres gouvernements pour le haïr, pour le honnir ? Aurait-il accepté que des jeunes favorisés de pays sous-développés, claquent des sommes faramineuses, équivalentes de mois de labeur du bas peuple, devant son portrait ? N’est-ce pas contre cette même injustice qu’il se battait ? N’est-ce pas pour le partage de richesse, pour ce peuple justement absent de ces places huppées, qu’il est mort en Bolivie ?

Il est parfaitement compréhensible de voir la figure du Che planer sur notre monde en manque de vrais héros. Nous n’avons pas eu notre Mai 68, ni notre festival de Woodstock. Nous n’avons pas connu les vrais artistes. Nous n’avons pas reçu les gouttes de sueur de Brel sur le visage. Nous n’avons pas lu des articles de Romain Gary fraîchement imprimés dans les journaux. Nous n’avons, après tout, peut-être pas connu la vraie vie. Ni moi, ni ma génération. Nous rêvons donc, collectivement, d’un héros, beau, romantique et courageux. Nous voulons cette image. Nous en avons besoin. Nous, les contemporains de Britney Spears et Ricky Martin, de Tom Hanks et de Julia Roberts, de Marc Lévy et de Dan Brown. Nous avons besoin de cette vraie magie que nos parents avaient connue – ou du moins, c’est ce que nous croyons. La figure de Che Guevara vient, alors, combler un certain vide que notre génération connaît. Mais, il y a des limites. Il faudrait respecter l’Homme Che Guevara avant d’afficher son image à tous les coins de rue, avant de l’associer à tout projet douteux, qui nous paraît un tantinet révolutionnaire. Il faudrait, surtout, respecter ses convictions et ne pas le vendre pour le moindre dollar. Ainsi, il ne se retournera pas dans sa tombe. Ainsi, quand on arborera un t-shirt à son effigie, ce sera pour les bonnes raisons : parce que ce fut l’homme le plus complet du vingtième siècle.

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At 17/8/06 8:09 AM , Anonymous Anonymous said...

Je suis tellement trop avec toi sur ce point Onassis... Pour ce qui est de nos parents, je me demande s'ils avaient conscience de vivre "l'époque épique" dont parle Léo Ferré (ceci dit, son texte aurait pu être écrit hier).

Mais c'est cyclique dans l'histoire: une époque d'années folles, de jeunesse dorée est souvent suivie d'un retour de balancier, qui s'en retourne ensuite, inlassablement. Avec la réupération de symboles et d'esthétiques auxquels les gens ne comprennent soit rien, soit pas grand chose...

Vive le Che... Je me demande parfois ce qu'il aurait fait de Cuba.

 
At 17/8/06 1:02 PM , Blogger Onassis said...

Voici peut-être une autre raison pour laquelle on le respecte tellement : le "si"...qu'aurait-il fait de Cuba ? Certainement pas ce qu'en a fait Fidel. Sa lettre d'adieu le prouve. Che ne voulait rien de matériel ou de tangible. Il voulait que le peuple soit heureux et prenne sa destinée en mains...

 

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