Friday, July 17, 2009

Le vent souffle sur les braises de ta douleur

Nous étions finalement à Essaouira. Il ventait à souhait, des mouettes chantaient et c'était comme toutes les fois que j'ai foulé la terre d'Essaouira : un sentiment de liberté m'envahissait le coeur et je me sentais presque voler, planer, flotter au dessus de ces terres bénites. Nulle part ailleurs dans ce monde, je ne me suis senti aussi libre. Nulle part ailleurs dans ce monde, je ne me suis senti aussi léger. Et c'est un peu pour ça que je viens ici à chaque fois que je viens au Maroc. Du moins, j'essaie.

Nous nous sommes assis au premier café disponible. C'est une vaste place qui permet l'accès à la médina d'Essaouira. Des touristes vont et viennent de tous les sens. Ce ne sont, toutefois, pas les mêmes touristes qu'à Agadir, Marrakech ou Rabat. C'est une autre catégorie de touristes, un peu gauchistes, un peu hippies, un peu Bob-Marleyiens. Un marocain en sous-vêtement blanc et shorts noirs parle à un couple d'anglophones. Il parle fort. Il est au milieu du café, des lunettes noires, des cheveux dorés par le soleil. Le parfait look surfeur. On s'assoit tranquillement et on commande chacun une salade.

Il arrive sans s'annoncer. Tranquillement. Petit pas par petit pas. Il a les cheveux très courts et ce regard triste qu'on devrait interdire à ceux de son âge. Il tend la main et demande "une pièce pour pouvoir manger quelque chose".
- Pour manger ?
- Oui. Pour manger.
Il baisse la tête.
- Je peux te commander quelque chose à manger alors ?
- Oui merci.
Il me regarde dans les yeux.
Je commande une omelette pour lui.
Il reste à côté de nous, debout, baissant la tête de nouveau. Muet. Timide. Triste.
Le serveur s'approche et l'appelle par son nom : Badr, viens t'asseoir ici ! Il le tire par le bras et l'éloigne de nous. Une fois assis, je vais le chercher, lui tire une chaise et lui demande de s'asseoir avec nous.
- Tu as quel âge ?
- 12 ans.
Je lui donnais 7-8 ans, pas plus.
- Tu vas à l'école ?
- Plus maintenant.
- Tu as des frères et soeurs ?
- Un frère et une soeur. Je suis l'aîné.
- Et ton père ?
- Il est parti.
Silence.
- Tous les dirhams que je collecte, je les donne à ma mère à la fin de la journée.
Il a toujours la tête baissée.
Nos salades arrivent. Je prends un bout de pain, lui mets des légumes dans le pain et le lui donne.
Il mange tranquillement. Avec retenue. Une retenue que je n'ai pas quand j'ai faim.
Le reste n'est que banalités. J'ai essayé d'avoir une conversaion normale avec lui. Sans lieux communs. Sans clichés. Sans pitié. D'égal à égal. Mais on tombe toujours dans les pièges de la platitude humaine. On essaye de donner des conseils, de guider, d'avoir un impact sur la personne. Mais qui est-on ? Mais qui suis-je pour prétendre à tel accomplissement ?
Son omelette arrive.
- Tu n'es pas obligé de manger ici Badr, tu peux y aller.
Il me sourit, me remercie et part.
Derrière mes lunettes fumées noires - qui l'auraient peut-être nourri pour une semaine - dans mon visage joufflu de bien nanti, deux yeux rougissent timidement et lâchent une chétive larme. Pourquoi moi ? Pourquoi lui ? Pourquoi cette chance ? Pourquoi ce destin ? Encore des lieux communs que je ne peux éviter. Le sol tremblait. Les mouettes ne chantaient plus, elles gémissaient. Le vent soufflait plus fort. Je n'avais plus d'appétit. Quelques mouches ravies sautèrent sur les tomates fraîches trempées d'huile d'Argan. Je les laissai à leur festin. Et moi à ma désolation. À mes questions sans réponses. Au mystère de cette vie que je ne comprendrai jamais.
Je me suis retourné vers l'entrée de la médina. Des enfants jouaient allégrement au foot-ball. Parmi eux, un petit garçon, cheveux courts, le visage innocent. Cette fois, il n'était pas triste. Cette fois Badr courait dans tous les sens et riait. Mon unique larme s'est évaporée avec le vent. J'ai presque souri. La vie continue. La vie avance et nous sommes là par pur hasard. Nous sommes futiles, de passage, éphémères.
Et c'est tant mieux que ça !

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At 17/7/09 8:38 PM , Blogger Samuel Gagnon said...

Très beau billet... j'y penserais quand je serais au Maroc la semaine prochaine (du 22 au 9 Août). À bientôt!

 
At 20/7/09 9:43 AM , Blogger Onassis said...

Bonnes vacances alors. Profites-en au max !

 
At 20/7/09 10:28 PM , Blogger Nina louVe said...

et après, de nouveau, s'intéresser à Badr. à l'automne en Irlande comme en été... n'importe où.

ces petits tristes, enfants comme vieillards, possèdent la plus pure beauté. celle où un sourire souffle mille maux.

 
At 26/7/09 1:05 PM , Blogger simo s no man land said...

j ai bp aime ce texte. tres emouvant. thank you.

 
At 26/7/09 3:17 PM , Blogger Onassis said...

I'm the one to thank you !

Nina : vrai !

 

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