Sa majesté l'Été
J’ai passé tous les étés de mon enfance au bord de la mer. Du début du mois de Juin à la fin du mois d’Août. Je devenais noir. La protection solaire ? Je ne connaissais pas ça. J’étais petit. Les cheveux raides. Et je courais. Et je me baignais. Je mangeais peu. La mer, pour moi, c’était, c’est, le paradis sur terre. Quand la fin du mois d’Août approchait, quand cette brise de fin d’été se ressentait, je commençais à avoir la gorge serrée et mes yeux naturellement tristes, prenaient la couleur d’un soir frais d’automne, où seuls les oiseaux pubères osent braver nus ce froid subtil qui vous ronge les os. Pour moi, c’était ça la fin de l’année. Pas Décembre. Pas Noël. Pas le réveillon. Non. La fin de l’été était la fin de l’année, tout court. Et le début de l’année scolaire. D’autres amis. D’autres maîtresses d’école. D’autres étrangers. Neuf longs mois avant la prochaine baignade torse nu et nez au ciel, dans le royaume de la mer salée. Seul ou avec mes cousins, au bord de la mer, avec rien ou presque, nous faisions le tour du monde. Nous inventions des histoires, des châteaux, des guerres et des princesses à sauver. Aucun réalisateur au monde ne pouvait prétendre avoir plus d’imagination que nous. Et quand le coucher du soleil approchait, arrivait le moment de la dernière baignade de la journée, dans une eau plus chaude, plus calme. Cette dernière baignade avait quelque chose d’intime. Nous étions, la mer et moi, deux amis de longue date, qui faisaient un tour ensemble. Tout était magique. Le silence régnant. Le peu de baigneurs. Le soleil qui s’éclipsait peu à peu. Et ma solitude. Je chéris cette solitude, tête-à-tête avec la mer, pleine d’innocence et de fraîcheur. Je la chéris et je la recherche encore de temps en temps, quand dans un lac d’eau douce, je m’isole au bord de l’eau et je plonge, m’inventant l’odeur de l’eau salée, les vagues de l’Atlantique et ces épaves de canettes ou de bouteilles de plastique, traînant sur l’eau, preuve, s’il en fallait, du désordre social et humain de mon pays natal. Désordre apparent jusque dans ses plages.
C’est depuis que je honnis l’arrivée de l’automne. C’est depuis qu’une journée grise d’été a des allures de traîtresse dans mon cœur. Comment oses-tu ô Dieu du mauvais temps et des nuages lugubres me voler ma journée d’été, que je ne reverrais jamais ? N’en as-tu donc pas assez avec tes autres deux cent soixante-quinze jours de l’année ? T’en faut-il d’autres pour te rassasier la panse ?
Dimanche, il a plu toute la journée. Aujourd’hui, j’ai mis un pull et je n’ai même pas osé prendre mon vélo. Un petit froid règne. Ce n’est pas Janvier et ses tempêtes de neige. Ce n’est pas Décembre et ses arbres de Noël, grossièrement maquillées de guirlandes insignifiantes. Ce n’est que la fin d’Août. Ce n’est que la fin d’un autre été. D’une autre année, qui s’en va à pas de géant, rejoindre ces autres années passées, assises au même coin du ciel, me guettant tranquillement, regardant paisiblement l’horloge de ma vie qui avance, mais ne recule guère. Petit à petit, ces années font foule. Petit à petit, elles se font plus nombreuses que celles qui nous restent. Et nous avançons, pressés et inconscients vers ce mur qu’on ne franchira pas.
Été 2006, adieu !