Wednesday, August 29, 2007

Le cimetière (2)

Mise en contexte : En 2006, j'avais visité le même cimetière.
Ça avait donné ceci.



Jeudi matin. Je décide d’aller au cimetière. Je le fais chaque année. Grand-père, grand-mère et leur fils mort trop jeune. Meurt-on jamais au bon moment ? Vit-on jamais assez ?

Je passe prendre ma cousine. Nous stationnons devant le cimetière et traversons la route. Il est presque neuf heures. Le cimetière est devant la mer. Une certaine fraîcheur s’incruste jusque dans mes os. J’ai la chair de poule. Et je ne sais si c’est à cause de l’air frais ou du cimetière. La mort m’a toujours fait cette impression. Une énigme. Le triangle des Bermudes. Un gros point d’interrogation à jamais dessiné, suspendu dans le ciel, à me guetter, à m’attendre. Et je n’y peux rien. Je marche droit vers La Broyeuse. Et je baisse les yeux. Profil bas. Profil très bas.

Cela fait un an que je ne suis pas venu. Je me rappelle un peu de l’emplacement des trois tombes. Je marche avec ma cousine en cherchant. Je lui donne ma casquette, soleil oblige. Loin en avant, des gens autour d’une tombe. Un autre mort. D’autres larmes. Une autre tristesse. Ainsi va la vie. Ainsi va la mort. Je trouve la première tombe. Le reste est facile. Ils sont voisins. Une personne se présente avec des seaux d’eau. Oui, faites s’il vous plaît. Arrachez ces plantes rebelles. Arrosez les trois tombes. Faites comme s’ils étaient vivants et qu’ils avaient besoin d’une bonne toilette. Une autre personne se présente. Je lui indique les trois tombes, lui explique qui est qui et lui demande de commencer par le père. Je veux garder ma grand-mère en dernier. J’ai mes raisons. Il lit le Coran. Ma cousine est hollandaise. Elle parle marocain. Mais pas l’arabe classique. Je doute fort qu’elle comprenne quoi que ce soit à ce qu’il raconte. Mais elle est là. Et son émotion est palpable. Je ne sais pourquoi, j’ai la tête ailleurs. Je suis habitué à B. D’habitude, c’est lui qui nous lit le Coran au cimetière. Mais je ne le vois pas ce matin. L’autre récite le Coran. Ses phrases sont rapides et indéchiffrables. Je n’arrive pas à me concentrer, à puiser dans mon for intérieur, à vivre ce moment unique. Je regarde autour de nous. La désolation. Des morts et des morts. Le silence. Je me tourne un peu. La mer est au loin. Une affiche attire mon attention. Club de surf. Je souris. Club de surf. Drôle de place pour proposer du surf aux gens. Enfin. C’est logique. La mer. Les vagues. Le surf. Oui. Oui. Très logique. Mais il y a un cimetière. Et des gens qu’on enterre chaque jour. Et d’autres qui restent là. L’âme morte. Le corps vivant. Je n’arrive pas à trouver de bons arguments pour détester ce club. Mais je le déteste. Et c’est comme ça. Mes yeux reviennent vers la tombe de grand-père. Le prieur met ses mains en triangle, je fais pareil, ma cousine fait pareil. Il aboie des prières. Nous lançons des « Amine » (Amen) à chaque prière. Ses dernières prières nous sont dédiées. Que Dieu nous accompagne dans nos pas. Qu’il nous garde en santé. Qu’il nous guide dans la bonne voie. J’ai envie de lui dire d’arrêter, qu’on n’est pas là pour nous mais pour eux, que ce n’est pas parce que je paye qu’il doit me couvrir de ses prières. Mais je me tais. Nous sommes au cimetière. Il faut savoir se tenir. This is not about me. This is about them. Nous passons à mon oncle. Je me rappelle cette année lointaine où, ma cousine et moi ainsi que les autres cousins, avons passé le réveillon chez lui à Marrakech. Je me rappelle du bon temps. Je me rappelle de « Zooropa » de U2. Je me rappelle de « If i was your girlfriend » de Prince. Je me rappelle de tout. De nos rires. De notre innocence. De nos larmes. De notre insouciance. Puis de la tragédie. Et ce fut la fin. La fin de nous. De moi. De mes cousins. La fin de l’entité. La fin d’une époque. Et nous voilà 15 ans plus tard, deux au lieu de cinq, debout en face de sa tombe, à lui rendre visite. Es-tu là ? Nous vois-tu ? Souffres-tu ? Ma cousine se cache derrière ses lunettes. Je n’ai pas de lunettes. Alors, je tourne la tête et je regarde ailleurs. Quand on passe à ma grand-mère, le prieur va plus vite. Beaucoup plus vite. Il n’a rien compris. C’est maintenant qu’il aurait fallu prendre son temps. Lire doucement. Lire avec son cœur. Lire avec éloquence. Mais il ne connaît pas l’éloquence. Mais il veut son argent. Mais il veut aller lire le Coran pour d’autres. D’autres endeuillés. D’autres dirhams.
Je lève les yeux et je le vois. Il est là. Majestueux. Souriant. Le visage basané. Les dents blanches. Il est là. C’est B. C’est lui qui lit le Coran comme il faut. Mais où est le parapluie rose ? Je n’ose lui demander. Il me tend la main. Je la serre fort et je lui demande d’attendre. L’autre lit, aboie ses prières. La même chose qu’avant. Les mêmes mains en triangle. Je lui donne l’argent et le remercie. Il s’en va. Je demande à B. de lire pour grand-mère. Elle n’a pas eu sa vraie part. Lis pour elle, B. Lis pour elle. Prie pour elle. Je te sais sincère. Je sais que tu connaissais mon oncle. Je sais que tu viens de temps à autre lire pour eux. Seul. Sans que personne ne te le demande. Et il lit. Et il pria. Et mon cœur se fendit en trois. Et les lunettes que je n’avais pas brillèrent par leur absence. Et ce chant Coranique me fit l’effet d’une belle et douce élégie que j’attendais depuis des mois. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots *. Musset avait raison. Dire qu’il n’avait pas vu mes sanglots.

Nous sortîmes de l’autre porte. Ma cousine me dit doucement et simplement « it’s good that we did this ». indeed, cousine. InVeryDeed. La mer était devant nous. Et nous avons la même fascination pour la mer. Nous allâmes vers elle. Hypnotisés. Aveuglés. Somnambules du dimanche. Le club de surf était bien là. Il n’y avait pas un chat. Trop tôt pour surfer. À droite, un peu plus loin, des restaurants, des cafés, une plage. Nous avions faim. Nous nous posâmes dans un café et prîmes des jus et des croissants. Et assis devant la plage, écoutant la mélodie des vagues, nous nous délectâmes du silence.

La paix est un long silence que rien, ni personne n’interrompt.

* : Allégorie du Pélican. Alfred de Musset.

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Monday, August 27, 2007

La note qui tue

J'ai acheté un livre* usagé. Sur la page blanche du début, une note :

"Pour nos deux ans d'amour, une formidable histoire d'amour. À toi mon amour. XXX. "

Au delà du mot "amour" mentionné trois fois (manque de vocabulaire, romantisme extrême ou simplement une défaillance imaginative ? ), des questions se posent :

- Pourquoi ce livre est-il en vente ? A-t-il été volé ? Sa propriétaire, l'aurait-elle vendu parce qu'elle n'avait plus le sou ? Qu'est-il arrivé à cet amour jeune de deux ans ? Perdure-t-il ? A-t-il vieilli, ses fleurs ont-elles fané comme ont jauni les pages du livre ?

Des questions majeures !



* : Il s'agit de Soie d'Alessandro Baricco.


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Wednesday, August 22, 2007

La maïeutique n'est jamais fortuite



Avertissement : L'auteur de ce petit texte ne veut en aucun cas vexer ou titiller la sensibilité de qui que ce soit. Il se pose des questions. Il cherche des réponses. En avez-vous ?

C'est une question qui me trotte depuis longtemps dans la tête.

Je regarde autour de moi. Je regarde les nouvelles. Je lis les journaux. Et c'est toujours la même chose : Quand est-ce que j'entends parler de problèmes avec les femmes voilées ? De problèmes d'intégration des immigrants ? Quand est-ce que les principes de laïcité sont évoqués à tort et à travers ?

Réponse : Dans les milieux francophones. France. Belgique. Québec.

Aux États-Unis, pays secoué par les attentats du 11 Septembre, les minorités vivent bien leur minoritisme (Ce sont les "autres" qui en bavent. Mais ça, c'est une autre histoire). En Grande-Bretagne, il n'y a jamais eu question, malgré plusieurs attentats islamistes et une certaine peur de l'endoctrinement de "certains" citoyens, d'obliger des femmes à se "dévoiler", à empêcher qui que ce soit de respecter un culte, etc. Ici au Canada, le Québec, toujours enclin à regarder la France et la suivre dans ses erreurs, est le seul à parler d'empêcher les femmes voilées de porter leur voile dans la fonction publique. Pas en Ontario. Pas en Colombie-Britannique. Pas même au Yukon (bizarre, non ?).

La France a une longue et tumultueuse histoire avec les Arabes musulmans. Leurs rapports conflictuels ne peuvent être étrangers au peu d'intégration de cette communauté en France (même analyse pour les Africains noirs. Il y a un rapport de colonisateur - colonisé qui fout tout en l'air...).

Pourquoi la Belgique ? Pourquoi le Québec (À part cette fâcheuse manie de la plupart des intellectuels québécois à lire des auteurs français peu recommandables comme son éminence BHL, sa majesté Glucksmann et d'autres bouffons médiatiques drôles malgré eux, et les citer comme si c'étaient les Saintes Écritures. On n'est pas en France ici ! On est en Amérique du Nord. Notre réalité est différente, bon dieu !) ?

Serait-ce la littérature francophone ? Serait-ce Tintin ? Seraient-ce Descartes, Camus, Rabelais ? Seraient-ce Zidane et Thierry Henry ? Serait-ce De Gaulle ? Serait-ce Ophélie Winter ? Arielle Dombasle ?

Éclairez-moi. Car parfois, souvent même, je n'y comprends rien.

PS : Les raccourcis paresseux sont à proscrire.

Merci d'avance.


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Monday, August 20, 2007

Goodbye Morocco

Samedi matin. Jour du départ. Jour de l’arrivée. Il fait chaud. Le thé goûte le soleil, la mer, la solitude, l’exil. Je ne peux rien avaler. Le cœur est saturé. Je fais mes valises. Tout est éparpillé. Comme le sont mes pensées, mes désirs et mes rêves d’enfant. J’ai envie de partir. Car là-bas, c’est chez moi. J’ai envie de rester. Car ici, c’est (presque) chez moi. J’ai envie de tout et de son contraire. Et le soleil brille dehors, superbe d’insolence, impassible à mes faméliques tiraillements, entre hier et demain, entre il y a 14 ans et dans vingt ans. Mon oncle part aussi. Direction Oncle Sam. Il fait ses valises dans l’autre chambre. Telles de pauvres mouches désorientées, nous passons d’une chambre à l’autre, de la salle de bain à la cuisine, pressés, fiévreux, engagés dans une course à la montre qui n’est point une surprise. Je n’aime pas faire mes valises à l’avance. J’aime cette hyperthermie de dernière minute. Pour lutter, pour occuper mon temps et fuir ces choses qu’on devine mais qu’on ne veut exprimer. Ma sœur répond à tous mes désirs. Donne-moi ci. Cherche-moi ça. Copie-moi les photos sur mon ordinateur. Je ne la ménage pas. Qui aime bien, ne ménage point. Mon père fume cigarette après l’autre dans l’autre chambre aveugle aux yeux ouverts devant une télé qui crache des mots dont il se fout pas mal. Deux journaux en arabe traînent par terre. Les nouvelles sont bonnes ? Il n’y a pas de nouvelles. Que du vieux.

Il est 11h 30 quand je m'apprête à partir. Mon père ne veut pas venir. Je le sais sensible. Une maigre accolade, des mots étouffés et je me retourne en direction de la porte. Une fois les valises dans la voiture, je salue mes deux oncles et je monte. Je vais conduire. 1h 15 de route pour ma mère, aller puis retour, c’est un peu trop. On met de la musique. Mika. Gnawa Diffusion. On parle. On parle. On parle. Ma sœur est en arrière penchée vers nous, l’envie de se joindre à nous en avant et former un trio de trois générations. Entre ma mère et moi, 26 ans. Entre ma sœur et moi, 14 ans. Elle pétille de jeunesse. Elle est pleine d’espoirs et de rêves. Ma fleur dorée, mon talisman, notre demain enfleuré.

Il fait chaud. Je sue à grosses gouttes d’eau. L’air de la mer m’enivre. Je fais le plein dans mes narines. Je ne sais quand je te reverrai frère océan. Alors, je te respire. Et dans ma mémoire tu vivras. Et dans mes vaines tu couleras.

Aéroport. Je cherche un chariot. Mes deux valises et mon sac à dos y embarquent. À l’entrée, une file se dessine. Les agents de sécurité, le détecteur de métal aidant, fouillent les personnes une à une. Une fois de l’autre côté, je demande à ma mère et ma sœur de m’attendre, le temps que j’aille enregistrer mes bagages. La dame prend mon passeport et me prévient tout de go : l’avion a deux heures de retard. Quand je reviens, nous nous cherchons une place dans la cafétéria. La minuscule cafétéria du terminal 3 à destination du Canada, États-Unis, Allemagne, Italie et je ne sais quel autre pays. Les places sont toutes prises. Nous attendons patiemment avant de nous jeter corps et âmes sur la première table à se libérer. J’ai faim. La serveuse se présente. Un sandwich au poulet, s’il vous plaît. Il n’y en a plus. Un sandwich au thon. Il n’y en a plus. Qu’est-ce qu’il y a ? Rien. Je suis découragé. Une bouteille d’eau ? Affirmatif. Je suis soulagé. Une bouteille d’eau pour étouffer ma famine. Bien sûr. Ce n’est pas maintenant que le Maroc va changer. C’est dans le plus beau pays du monde qu’on apprend tout ce qu’il ne faut pas faire dans le formidable monde du commerce. Comment ne pas parler aux clients. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire si on veut faire de l’argent. Ne pas commander assez de sandwiches pour la fin de semaine. Voilà un très bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Demain, dimanche, il n’y aura pas plus de sandwiches. Combien d’argent auront-ils perdu ? Combien de clients prendront l’avion avec l’étrange sensation d’avoir été dans un pays en manque d’argent, d’investissements, de travail pour les jeunes et les moins jeunes, pour les diplômés et les non diplômés, mais qui donne la non moins étrange impression de s’en foutre complètement. Comme si tout ça n’était pas important. Comme si tout ça était futile. Le monde tournera toujours. Malgré tout.

Un homme pressé surgit de nulle part, prophète de la bonne nouvelle : plus de retard pour Montréal. Il faut embarquer. Je le remercie. Il me regarde et me dit : ne la laisse pas pleurer. Je ris jaune et lui dis que non, elle ne pleurera pas. Je me retourne vers elle. Elle pleure. Il pleut des larmes chaudes sur ses douces joues. Elle pleure et c'est 10 sur l’échelle de Richter. Ma mère, mes os et mon sang, mon début et ma fin, la source de mon monde et de ses environs. Elle pleure. Je la prends dans mes bras. Ma sœur semble vouloir l’imiter. Je pousse mes bagages rapidement. Vers le gardien de sécurité. Vers ma fuite. Vers ma lâcheté. Je les embrasse une à une. Nos accolades sont chaudes et peu avares d’émotion. Comment voir son fils voler vers d’autres cieux, pour des milliers d’heures, des centaines de jours, une dizaine de mois, voire quelques années, sans souffrir, sans pleurer, sans mourir à petit feu ?

J’attends une bonne heure à la salle d’embarcation. Déjà nostalgique de l’été 2007. Déjà nostalgique d’hier. Déjà nostalgique d’il y a deux minutes. Mes deux petites cousines. Leurs rires innocents. Nos jeux ensemble. La piscine à Marrakech. Ma sœur qui bronze. Ma sœur qui sourit. La plage à Rabat. Les vagues. Une cousine sur mes épaules. L’autre sur les épaules de son père. Des vagues et des vagues. Des gorgées d’eau salée. Mon autre cousine et sa demi-sœur. Le tennis de plage. Nos rires improvisés. Les centaines de photos qu’on a prises. L'inoubliable repas à Jamaâ Elfna. Mes longues discussions avec mon oncle. La chanson de l’été qu'on n'a pas arrêté de rejouer. Et ma mère. Ma mère. Ma mère.

Voilà que j’ai froid. Voilà que je me ronge les ongles. J’ouvre mon livre et le referme de suite. Les pages sont vides. Vides de sens. Vides de vérité. Vides de ma mère, de ma sœur, de mes cousines et de leurs parents. Vides et sans goût. Au diable !

J’ai soudain envie de vacuité. Play. Forward. Play. Forward. Play. Tiesto. J’achète. Mes chagrins s’évaporent comme une vulgaire eau incolore brûlée par un impitoyable soleil.

On nous ouvre les portes. Nous marchons quelques deux-cents mètres pour atteindre l’avion. Une dernière bouffée de chaleur. De quoi rassurer mes pauvres os pour les prochains douze mois.

Quelques heures plus tard, un agent de bord légèrement ventru me réveille de mes doux cauchemars. Poulet ou poisson ? J’ouvre lentement l’œil en me demandant s’il me traite de poulet ou si je sens le poisson. Poisson, s’il vous plaît. Il me tend mon plat. J’ouvre. Du poulet.

Par terre ou dans les vastes cieux, le Maroc est là. Indétrônable maître de l’anarchie mondiale.

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Wednesday, August 15, 2007

Encore les accomodements

Barth m'a envoyé ça :

Bonjour à tous,

comme vous le savez sûrement, la commission Bouchard-Taylor commencera sous peu
ses travaux sur les accommodements raisonnables. Il y a plusieurs moyens de
participer à la commission et une des façons les plus simples est de répondre
aux questions sur le site web de la commission:

http://www.accommodements.qc.ca/votre-avis/index.html

Par exemple, il y a un questionnaire relativement court qui vous présente des
situations inspirées de la vie réelle et qui vous demande ensuite votre opinion.

Comme les travaux de cette commission vont potentiellement influencer l'avenir
du Québec et certainement tout le débat entourant les accommodements
raisonnables, je vous encourage fortement à y participer et à faire connaître ce
site web.

Je vous encourage à donner votre avis. Le Québec de demain dépend peut-être de cette commission.

Ne soyons pas avares de notre temps. Ne soyons pas cyniques. Ne soyons pas fatalistes. On peut changer les choses.

Enfin, peut-être....


Merci Barth !



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Friday, August 10, 2007

Pas si perles que ça !

Deux jeunes gens arrivent dans un restaurant de Rabat, capitale paisible du Maroc. Il est 21h 00. Ou presque. Ils ont faim. Il vit ailleurs. Elle a vécu ailleurs. Ils sont amis. Amis de et par les mots, amis de paroles, amis d’idées. Il revient voir son pays d’origine quand il peut et non pas quand il veut. Avec ses yeux de mi-Marocain, mi-étranger. Il aime ce pays. Il hait ce pays.
Elle vit dans ce pays. Parfois parce qu'elle pense devoir. Parfois parce qu'elle pense vouloir. Elle aime ce pays. Elle hait ce pays. Il y a toujours des raisons pour aimer. Il y a toujours des raisons pour haïr. Parfois même, ce sont les mêmes raisons.
Elle vit dans ce pays. Elle le connaît, le respire, le transpire chaque jour. Il le lit. Il le jauge. Il l’emporte chaque année. Dans des livres. Dans son cerveau. Dans sa mémoire. Par morceaux. Par bribes. Par miettes. Et les miettes ne font jamais un tout.

Il fait doux ce soir-là. Il y a de la place sur la terrasse. Ils ont faim. Ils s’assoient et attendent. Le serveur se présente. Il est jeune, souriant, débordant de gentillesse. Il met un t-shirt noir. Et noir est le fond de ses yeux. Et triste est son jeune visage. L’exilé le sait. Il le devine entre un sourire et quelques paroles. L’exilé joue la carte de l’excentricité. Elle cache (mal) sa profonde timidité. Il parle au serveur. Lui tire des paroles du nez. Et noires sont ses paroles. Il était à l’université. En lettres. Il n’est plus à l’université. Ni en lettres. Ni en chimie. Ni en droit. Il n’est plus à l’université. Pourquoi ? Demande l’excentrique. Des circonstances. Des circonstances. Et s’en va le serveur passer la commande.

L’exilé use de son imagination, invente les pires histoires et souffre à chaque nouveau scénario. Le serveur revient. L’exilé lui demande : tu es de Rabat ? Non, de Salé. Et l’exilé de l’imaginer prendre 3 bus, arriver au bout d’une ou deux heures à l’université, la panse vide, les cernes triomphantes, le gosier sec. L’exilé imagine, mais il ne sait pas. Il ne sait pas cette faim. Il ne sait pas cette fatigue. Il ne sait pas cette souffrance. L’exilé est un privilégié. La culpabilité l’enveloppe soudainement et l’empêche de respirer.

Les deux jeunes gens mangent bien. Parlent de tout et de rien. Le flash crache sa lumière aveuglante de temps en temps. Ils reverront ces photos dans deux, cinq, vingt ans et se trouveront jeunes et débiles. On est toujours jeunes et débiles sur les photos d'autrefois. Ils se voient pour la dernière fois cette année. Quand vont-ils se revoir ? Dans un an ? Dans deux, cinq, vingt ans ? Personne ne le sait. Personne. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’amis ils resteront. Car les mots sont là. Et les mots sont éternels.

Quand la facture arrive, ils payent, laissent un pourboire et s’en vont vers la sortie. L’exilé, dans une maladroite tentative d’aider le serveur – qui ne travaille à l’établissement que depuis 3 jours – déclare au gérant qu’il a eu un très bon service. Coup d’épée dans l’eau. Seau d’eau dans du sable. Ou pas. Ou pas. Ou pas. L’exilé est un grand naïf. Ou pas. Ou pas. Ou pas.

La nuit est fraîche et noire. Aussi noire que les yeux du serveur. Aussi noire que ce pays qui laisse ses jeunes périr comme de veuves vagues échouent sur le rivage, sans destin, sans lendemain, sans rien.

La nuit est fraîche et noire. Tu veux que je te raccompagne ? Non. Je veux marcher. Je veux marcher tranquillement. Humer l’air de la nuit. Pester contre mes fantômes. Marcher. Marcher. Marcher.

Une accolade. Des paroles vaines qui s’envolent avec l’air nocturne. Elle monte dans sa voiture. Un claquement de porte. Un sourire nerveux. Une marche-arrière. L’amitié ne meurt certes pas, mais elle agonise. À coups de kilomètres. À coups de continents.

Il est déjà loin. Marche-t-il ? Court-il ? Son cœur bat. Il a mal pour son pays. Il a mal pour ses frères et soeurs qui n’ont pas eu sa chance. Il a mal. Il n’a pas pitié. Il honnit la pitié, mère indigne de l’esclavage et des colonies.

Il pense. Une phrase se dessine dans sa tête. Le Maroc laisse choir ses enfants. Comme un vieil arbre débile qui laisse échapper ses feuilles au printemps. Demain l’arbre sera nu et sec. Et toutes les larmes du monde ne parviendront plus à faire fleurir ses branches.

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Wednesday, August 08, 2007

Nikolski

Je l’ai acheté et je l’ai mis sur ma commode. Je le lirai pendant mon voyage. En attendant l’avion, dans l’avion, entre deux baignades au bord de la mer, dans le train, pendant que des oiseaux frétillent et que des nuages pleurent. J’avais entendu beaucoup de bien du livre. L’auteur est jeune et je suis en recherche perpétuelle d’écrivains jeunes et bons. S’ils ont mon âge, s’ils sont de ma génération, ils doivent parler de choses qui me touchent. Et puis, j’ai toujours cette injustifiable peur qu’un jour, j’aurais lu tous les bons livres déjà écrits. Dans ce cas, que faire ? Que lire ? La question est, comme je l’ai dit auparavant, injustifiable. Pourquoi ? Parce qu’il y a toujours des livres à découvrir. Parce que personne n’a tout lu. Personne. Même les plus érudits d’entre nous.

Alors, oui, je l’ai lu pendant mes vacances. En fait, il se lit si vite qu’une semaine après mon arrivée au Maroc, je l’avais déjà fini. Il se lit vite. Il se laisse dévorer. Est-il bon pour autant ?

J’ai le regret de vous dire que j’ai été déçu. La plume est là. L’imagination est là. Les personnages sont très bien décrits. L’histoire nous laisse croire, nous promet un événement majeur qui va nous expliquer. Nous expliquer le lien entre tous ces personnages. Nous expliquer vers quels lieux le roman nous mène. Nous expliquer pourquoi nous lisons ce livre.

Mais point d’événement. Le roman se termine en queue de poisson. Comme ça. Quand on s’y attend le moins. Et on se surprend à chercher derrière la dernière page une note, un billet nous expliquant que, pour d’obscures raisons d’édition, il manque des pages à cette copie, ou que la suite du livre paraîtra sous peu sous le nom ô qu’original et inattendu : Nikolski 2.

Un mauvais livre ne me dérange pas, ne me titille pas, ne m’énerve pas. Un mauvais livre vous tombe des mains et vous l’oubliez sur le plancher entre une table et une chaise, seul, délaissé, sans avenir. Nikolski ne fait pas partie de ces livres. Il est prometteur, captivant, intrigant. Nikolski vous promet une fin rocambolesque ou un coup de théâtre ou une éventuelle adaptation au cinéma ou tout ça à la fois. Et puis vous lâche, quand vous avez justement le plus besoin de lui, de cette dernière page, de cette dernière phrase qui vous clouera le bec et vous poussera à le recommander à tous vos amis et même à vos ennemis. Et vous n’en êtes que plus enragés. Et vous le mettez en bas de votre bibliothèque. Avec les autres livres. Ceux que vous chérissez assez pour ne pas les jeter, mais que vous n’aimez pas assez pour les mettre en haut, avec leurs semblables. Avec les autres livres. Avec les pétards mouillés.

Dickner, j’attends le prochain. Parce que tu as du talent...



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Wednesday, August 01, 2007

Perles marocaines (2)


Je suis à Casablanca. Ma sœur a besoin d’un visa pour les États-Unis. Quand elle entre à l’ambassade, le gardien de sécurité me demande gentiment de m’éclipser. Pour aller où ? Il me montre du doigt un café à 200 mètres et me suggère de prendre un bon café et d’attendre. Il est 9:10 du matin. Je ne bois pas de café. Et je n’aime pas attendre. Je me rappelle que j’ai 100 Euros dans la poche que j’échangerai bien contre des Dirhams. Une banque, entre l’ambassade et le café, me fait de l’œil. Je presse le pas.


Il y a deux comptoirs. J’opte pour celui de droite. Toute conclusion hâtive sur mes tendances politiques est à proscrire. J’ai opté pour la droite comme j’aurais pu opter pour la gauche. Aucune importance. Je me présente au monsieur. C’est pour le change. Il m’indique le comptoir d’en face. Ici, c’est une autre compagnie. Je n’y comprends que dalle. Il me semble qu’à l’entrée, l’affiche indiquait bel et bien « La banque du… ». Enfin. Il n’y a même pas trente mètres à marcher. Je remercie le monsieur et me dirige vers l’autre comptoir. Deux clients attendent. Une femme de ménage, tablier blanc, fichu blanc et guenille blanche en main, essuie la poussière des bureaux. Le Montréalais en moi ne peut s’empêcher de penser que ça manque crucialement de professionnalisme. Elle aurait pu le faire hier soir à la fermeture. Ou ce matin très tôt. Tais-toi O., on n’est pas au Canada ici. Le premier client se fait servir. Le représentant clique sur un bouton. On entend l’imprimante s’activer. L’imprimante est à une cinquantaine de mètres. Mais Dieu est clément. La femme de ménage est justement en train de dépoussiérer la dite imprimante. Khadija, veux-tu me passer ce papier s’il te plaît ? Tais-toi O., on n’est pas au Canada ici. Khadija prend un papier sur l’imprimante et se dirige vers le représentant. Non, pas celui-là, l’autre en bas. Elle rebrousse chemin, échange les deux papiers et revient. Il la remercie. Courtois, au moins. En même temps, un garçon de café, un rond plateau argenté sur la main gauche, rentre à la succursale. Un café, un jus d’orange, deux verres d’eau et deux croissants. Le représentant s’arrête net de servir le client et lance au garçon : le café, c’est pour moi. Le garçon s’avance vers lui et lui tend le café. Tais-toi O., on n’est pas au Canada ici. Le reste des transactions se passe normalement. Arrive mon tour une quinzaine de minutes plus tard. C’est pour échanger des Euros, monsieur. Ah, je suis désolé mais je n’ai pas encore le taux. Je ne comprends pas vraiment. Je réponds calmement : Et vous l’aurez quand, s’il vous plaît ? Vers 10 heures et demi, onze heures. Je sors de la succursale mi-dévasté, mi-amusé. Je suis à Casablanca, capitale économique du Maroc, au centre-ville, à neuf heures trente du matin, dans un pays qui vise 10 millions de touristes pour 2010 et qui amène la majorité de sa devise étrangère (dont il a tellement besoin) de la main des Marocains résidant à l’étranger (appelés gentiment MRE), et on me dit tout bonnement qu’on ne peut pas échanger mes Euros. Incroyable mais vrai.


Je prends mon chocolat chaud et mon croissant au chocolat (oui, j’aime le chocolat !) paisiblement au café du coin. À ma gauche, une Marocaine seule fume cigarette après cigarette. À côté d’elle, des juifs marocains, parlant parfois en arabe, parfois en espagnol et rarement en français, attendent leur fils demandeur du visa des États-Unis. Le serveur est courtois et chaleureux d’approche. Il lui manque trois dents. Son sourire n’en est que plus touchant. Devant moi, une horde de jeunes et moins jeunes sirote un café au lait (appelé gentiment moitié-moitié), une gorgée aux vingt minutes, les yeux scrutant chaque passant mais surtout, surtout chaque passante. Je m’ennuie. Je sors mon livre : Nikolski. Je lis à peine deux pages et je laisse tomber. Trop de bruit et de fumée autour de moi. Je suis sur le mode scrutement et enregistrement des petits détails croustillants. Impossible de lire dans ce cas. Bientôt, une table se libère dehors. Je ne supporte plus la cigarette dans les huis clos. Je préfère le soleil à la pénombre. Je change de place. Il fait assez chaud dehors et l’instant se prête bien à un bon thé à la menthe. Trois-dents-en-moins s’empresse d’assouvir mes désirs. Je suis presque heureux. Presque heureux. Car les cinq billets de vingt Euros me démangent dans la poche. A-t-il reçu le taux de change ? Comment le reçoit-il ? Par courriel ? Par téléphone ? Par fax ? C’est Khadija qui va le chercher, à dos d’âne, d’un local situé sur une montagne à vingt kilomètres de Casablanca ? Moult questions stupides me turlupinent. Je respire l’air pollué à souhait. Je remarque les policiers qui passent et repassent. Un monsieur au visage cadavérique s’approche du café et offre à tous les détenteurs de chaussures ses services de nettoyeur de chaussures. Personne n’accepte. Une mouche sautille sur la tête chauve d’un voisin. Il fait humide. Un chat miaule au coin de la rue. Le soleil règne sur le ciel marocain, en maître absolu des lieux. Je balade mes yeux d’une personne à une autre, d’un coin à un autre, d’une mouche à une autre. Les gens sont paisibles. Tassés par le soleil, l’humidité et l’air pollué. Je commande un autre thé. Ma sœur tarde et je n’aime pas attendre. Mais je n’ai qu’une sœur.

Quand vous n’avez qu’une sœur, rien ne vous empêche de l’attendre. Rien, même pas votre légendaire impatience.

Soudain, le pire arrive. Je suis une demoiselle des yeux. Belle, fraîche, élégante. Je lui invente même une odeur. Elle sent très bon. J’ai beaucoup d’imagination. Je la suis attentivement jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Puis, je me rends compte de la triste réalité : je me suis intégré. J’ai attrapé leur maladie. Tu arrives sœurette ?

Quand elle arrive, elle a le sourire jusqu’aux oreilles. Le visa est dans la poche, mais il faut revenir le chercher le lendemain vers 15h. Ma sœur, je t’aime, mais me retaper une autre heure de train demain, une autre recherche désespérée d’un taxi qui daignerait nous amener à l’ambassade, une autre heure ou deux d’attente dans ce café, non, je ne serai pas capable. Plus capable. D’ailleurs, tu n’étais pas là, mais j’ai suivi des yeux une passante. Je lui ai même inventé une odeur.

Quand vous n’avez qu’une sœur, rien ne vous empêche de lui dire non. Rien, même pas son légendaire sourire.

Nous nous redirigeons vers la banque. Les cinq billets de vingt Euros me titillent toujours dans la poche. Nous passons directement au comptoir. Aucun client ne nous précède. Khadija n’est plus là. Vous avez reçu le taux ? Oui. Je savais que c'était Khadija qui...enfin. Je lui tends l’argent. Ça fait presque 1100 Dhrs. J’encaisse l’argent et lui dis gentiment : la prochaine fois, vous pourriez prendre le taux de la veilleNon. Si le taux n’est pas avantageux pour nous, je vais me faire réprimander par mon boss. Ah, d’accord. Merci. Je m’en vais. Ce n’est pas de sa faute finalement. Ni de son boss. C’est la mentalité. Pour deux Dirhams, il vaut mieux refuser de servir un client. Tout principe de service à la clientèle serait contre cette action. Mais nous sommes dans un pays en chantier. Beaucoup à apprendre. Beaucoup d’erreurs à faire. Il n’y a rien de mal à ça. Il faut juste apprendre. Et ne pas rester figé dans la même pensée, la même mentalité, le même archaïsme.

Nous avons marché un bon quinze minutes. Nous avons parlé de tout et de rien. Je nourris la mémoire de ma sœur sans qu’elle le sache. Un jour, tout ça rejaillira et elle en gardera des souvenirs. Bons ? Mauvais ? Ça, je ne peux le contrôler.

Le train était plein. Il faisait chaud. Mon voisin parla au téléphone pendant presque tout le trajet. J’étais partagé entre l’envie de lui prendre son cellulaire pour le balancer par la fenêtre et cette question inutile mais tellement justifiable : elle s’élève à combien sa facture de téléphone par mois, ce nono ?



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